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Il lui recommande de faire planter un jardin anglais sur une des terres de son mari, près de Vizille et Claix : « des acacias, des
maroniers, des peupliers coûtent 4
F
à planter et donnent plus de plaisir que des murs qui coûtent 10
F
la toise courante. [...] Choisis
un endroit où la nature ait beaucoup fait et plante la 1
re
année de ton mariage. Dans 15 ans tu te promeneras sous ces arbres avec
tes enfans »...
Il la charge de saluer diverses personnes, et revient sur le sujet du mariage : « Adieu ma chere Madame, regarde toi bien
passer dans cette grande circonstance. C’est comme un théâtre où l’on monte du parterre, ça paraît grand tant qu’on ne voit pas
les décorations par derriere. Comment as-tu supporté cela ? T’es-tu trouvée ferme ou lâche ? Ensuite imagine d’après la secousse
que t’a donné un évenement si agréable en soi celle que dût sentir Frédéric en perdant la bataille de Kunersdorf. Jusqu’ici tu étais
fixée à un fort pilier, tu n’as pu prejuger de ton caractère, te voila en plein air, agis d’après toi. Je pense surtout que tu mettras de
la gaîté, de l’enfantillage dans l’intérieur de ton ménage, et surtout pas le ton raisonneur, froid et triste ou je déserte. Mais hélas
avant que de déserter il faut rejoindre et j’en suis bien loin »...
Il ajoute en post-scriptum que Martial D
aru
a « couru les plus grands dangers en Espagne » dans une révolte ; il faut garder
là-dessus « un profond silence ». Puis : « Vous devez savoir que Joseph règne en Espagne et le prince de Galles en Angleterre, voila
où il faut aller fut-ce pour 3 semaines comme M
me
Roland. Pour moi je me sens le courage d’y passer dans un bateau de 6 pieds
de long. [...] Tu vois que je suis toujours un peu pedant, c’est que je t’aime et que tu ne m’écris point ».
Correspondance
, Bibl. de la Pléiade, t. I, p. 483. Ancienne collection Daniel S
ickles
(XII, 5092).
Reproduction page ci-contre
177.
Henri Beyle, dit STENDHAL
(1783-1842). L.A., V[ienne] 14 juillet 1809, à
sa
sœur
Pauline P
érier
-L
agrange
 ;
6 pages in-4 (papier un peu bruni).
5.000/7.000
T
rès
belle
lettre
sur
sa
passion
pour
la
comtesse
D
aru
.
La lettre de Pauline a été « comme un vase rempli de l’eau la plus fraîche qui s’offre tout à coup au voyageur qui traverse
péniblement les sables de l’Afrique. Je suis depuis quelques jours dans un accès d’ambition qui ne me laisse de repos ni jour ni
nuit. Je ne m’inquiète pas beaucoup de cette fièvre de passion parceque tout sera bientôt décidé, et qu’en cas de non-succès j’aurai
bien vite oublié mes désirs brulans. Je me moque de moi-même. Quand je suis tranquille ce qui fait les plaisirs des autres me
parait plat et indigne qu’on y pense. Quand je suis engouffré dans ces accès de desirs fougueux qui me prennent 2 ou 3 fois par
an je soupire pour la tranquillité que je vois goûter à mes pieds. À tout prendre depuis mon arrivée à Paris au commencement de
décembre dernier je suis heureux de mon bonheur, qui serait inquiétude insuportable pour un autre. [...] J’ai été à Paris amoureux
d’Elvire [Alexandrine D
aru
]. L’immense distance de rang qui nous sépare a fait que cette espèce de passion n’a eu d’interprète que
nos yeux, comme on dit dans les romans, cela m’a amusé surtout dans les derniers momens de mon séjour. Elvire n’a pas beaucoup
de sensibilité ou du moins, cette sensibilité n’a jamais été exercée. Je crois qu’étant avec moi, elle s’étonnait de sentir, 3 ou 4 fois
nous avons eu de ces moments d’entrainement dans lesquels tout disparait excepté ce qu’on désire. Des obstacles insurmontables,
et du plus grand danger pour l’un ou pour l’autre nous ont empêché de parler autrement que par des regards expressifs [...] figure-
toi un Courtisan amoureux d’une Reine. Tu verras la nature de leurs dangers et de leurs plaisirs ».
Depuis son départ de Paris, il a eu des peines physiques, des « accès de fièvre qui m’ont empêché d’aller à la bataille du 6
de ce mois [W
agram
]. Spectacle à jamais regretable. 500 mille hommes se sont battus 50 heures »... Il fait des projets de voyage
en Italie... « je puis supporter les plus extrêmes fatigues. Mais ce bonheur parfait après lequel je cours, je ne l’ai point encore
rencontré. Il me faudrait une femme qui eut une grande âme, et elles sont toutes comme des Romans, intéressants jusqu’au
dénoûment, et 2 jours après on s’étonne d’avoir pu être intéressé par des choses si communes »... Il songe à quitter l’armée et à
se retirer dans sa propriété familiale de Claix à cause de « l’ennui de végéter dans un poste au dessous de ce que j’ai maintenant
prouvé que je pouvais faire »... Il recommande à sa sœur de prendre soin de sa santé.
Correspondance
, Bibl. de la Pléiade, t. I, p. 533.
Reproduction page 83
178.
Henri Beyle, dit STENDHAL
(1783-1842). L.A., Smolensk 19 août 1812, [à son ami Félix F
aure
et à la comtesse
D
aru
] ; 1 page et demie in-4, avec de nombreuses ratures et corrections.
4.000/5.000
B
elle
lettre
de
la
campagne
de
R
ussie
sur
la
bataille
de
S
molensk
.
« Cela nous parut un si beau spectacle que quoiqu’il fut 7 heures malgré la crainte de manquer le diner, chose unique dans
une telle ville, et celle des obus que les Russes lançaient à travers les flammes sur les Français qui pouvaient être sur le bord du
Boristhène, nous descendimes par la porte qui se trouve près la jolie chapelle; un obus venait d’y éclater tout fumait encore. Nous
fîmes en courant bravement une vingtaine de pas, nous traversâmes le fleuve sur un pont que le g
al
Kirgener fesait construire
en toute hâte. Nous allâmes tout à fait au bord de l’incendie où nous trouvâmes beaucoup de chiens et quelques chèvres chassés
de la ville par l’embrasement général. Nous étions à nous pénétrer d’un spectacle aussi rare quand M. [Marigner] fut abordé par
un chef de bataillon […] Ce brave homme nous raconta au long ses batailles du matin et de la veille et ensuite, loua à l’infini
une douzaine de dames de Rostock […] mais il en loua une beaucoup plus que les autres. La crainte d’interrompre un homme si
pénétré de son sujet et l’envie de rire nous retinrent auprès de lui jusqu’à 10 heures, au moment où les boulets recommencèrent.
Nous déplorions la perte du dîner, […] quand nous aperçûmes dans la haute ville une clarté extraordinaire. Nous approchons, nous