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Tour à tour objet d’étude savante ou de délectation privée, outil de travail professionnel ou vecteur d’une pensée
théorique, voire de conceptions politiques et sociales, le livre d’architecture constitue un objet de collection singulier et son
intérêt est extrêmement varié selon l’identité du détenteur et les intentions qui lui sont appliquées. Par son ampleur et sa
richesse, la bibliothèque aujourd’hui mise en vente reflète à merveille cette diversité typologique et fonctionnelle, qui est en
réalité indissociable des développements de l’architecture occidentale depuis la Renaissance.
Suivant son acception ordinaire en Europe à l’époque moderne, l’architecture ne saurait être entendue au sens
restrictif d’art de concevoir, de bâtir et d’orner un édifice, car elle déborde largement sur l’urbanisme, le génie civil et militaire,
l’hydraulique, l’art des jardins, les fêtes publiques et privées, le décor intérieur et l’ameublement, entre autres. Cette extension
thématique, qui apparaît déjà très clairement dans les inventaires de bibliothèques d’architectes sous l’Ancien Régime, trouve
dans le présent catalogue une sorte de parfait accomplissement à titre rétrospectif, non seulement par la réunion de la plupart
des œuvres les plus significatives de l’édition architecturale européenne, mais encore par la qualité et l’histoire individuelles
de chaque volume.
Nulle surprise à trouver ici la célèbre traduction de Vitruve par Daniele Barbaro, dans son édition originale publiée en
1556
à Venise avec la collaboration d’Andrea Palladio (n
o
9
), mais que ce livre ait appartenu à l’architecte parisien Daniel Gittard
(
1625-1686
), qui y a inscrit son ex-libris en
1651
, puis à l’architecte lyonnais Jacques Molinos (
1743-1831
), qui l’a fait relier et
orner de son nom et des symboles de sa profession, fait de ce volume un magnifique témoin de la transmission de l’héritage
humaniste à travers la période moderne. Le
Premier Tome de l’architecture
de Philibert De l’Orme, publié à Paris en
1567
,
constitue quant à lui un jalon incontournable de la Renaissance architecturale en France (n
o
12
). Aussi est-il particulièrement
significatif de découvrir un exemplaire qui a été possédé à trois siècles d’écart par des architectes français de renom, d’une part
Louis Le Vau (
1612-1670
), premier architecte de Louis XIV, et son frère François (
1624-1676
), l’un des membres de l’Académie
royale d’architecture à sa fondation en
1671
, et d’autre part Fernand Pouillon (
1912-1986
), qui fut parmi les architectes les plus
originaux et libres de l’après-guerre.
Si certains ouvrages matérialisent ainsi des continuités et parentés discrètes au sein de l’histoire de l’architecture
sur le temps long, depuis l’âge classique jusqu’à l’époque contemporaine, d’autres revêtent au contraire un intérêt propre
aux conditions particulières de leur parution. C’est notamment le cas des volumes offerts par leur auteur à des personnalités
éminentes, comme le montrent trois remarquables volumes de dédicace remontant au règne de Louis XIV. Si elle a été dédiée
au roi lui-même, la première partie du
Cours d’architecture
de François Blondel, parue en
1675
à Paris, a été naturellement
offerte à Jean-Baptiste Colbert, son patron aussi bien à l’Académie d’architecture que dans les grands travaux de Paris, et le
présent exemplaire porte la marque de sa bibliothèque (n
o
62
). De même, Antoine Desgodetz adressa-t-il à Colbert ses
Édifices
antiques de Rome
, parus en
1682
un an avant la mort du ministre et surintendant des Bâtiments du roi (n
o
64). L’
Idée de
l’architecture universelle
de Vincenzo Scamozzi, publiée pour la première fois en français en 1685 par Augustin-Charles
D’Aviler, a été dédiée à Jules Hardouin-Mansart, en tant que premier architecte et intendant des Bâtiments du roi (n
o
65
).
En dernier lieu, la
Géométrie pratique de l’ingénieur
de Clermont, parue à Strasbourg en
1693
, et la
Manière de fortifier
selon la méthode de Monsieur de Vauban
, publiée par l’abbé du Fay à Paris la même année, ont été adressées toutes deux à
Sébastien Le Prestre de Vauban, commissaire général des fortifications et ingénieur militaire le plus illustre de son temps
(n
os
68-69
). Ces cinq volumes, tous reliés en maroquin rouge frappé aux armes de leur dédicataire, représentent de manière
exemplaire trois aspects majeurs de l’architecture française sous Louis XIV : Colbert et le renouveau de la politique royale des
arts ; Vauban et les progrès de l’architecture militaire ; Hardouin-Mansart et le triomphe de l’architecture royale française
en Europe.
Il est enfin le cas des ouvrages d’architecture qui ne sont pas composés à l’initiative d’un homme de l’art, mais à la
demande d’un propriétaire ou d’un maître d’ouvrage. L’une des plus célèbres entreprises de ce type est bien évidemment le
Cabinet du roi
, où les bâtiments des maisons royales, leurs décors et leurs aménagements provisoires dans le cadre de fêtes
ont été gravés pour la plus grande gloire de Louis XIV (n
os
50
et sqq
). Le dernier raffinement est toutefois de faire constituer
des albums uniques, destinés au seul usage privé et non à la diffusion : il en est ainsi des célèbres albums du duc d’Antin
(n
os
82-84
), composés de cartes d’arpentage et de relevés architecturaux de ses domaines, et tout particulièrement du château
de Petit-Bourg qu’il avait fait somptueusement reconstruire par Lassurance.
En fonction des moyens et des intentions des auteurs et des commanditaires, le livre s’impose ainsi comme un reflet
privilégié de l’activité architecturale et des ressorts artistiques, culturels et sociaux qui la sous-tendent.
Alexandre Cojannot