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D
ANS UNE MAGISTRALE RELIURE MOSAÏQUÉE
EN DÉCOR À RÉPÉTITION DE
L
ATELIER DE
D
EROME
.
L’attribution se déduit de la présence sur les plats d’une
fi
ne roulette d’encadrement qui fut utilisée par
Jacques-AntoineDerome (mort en 1760) puis son
fi
lsNicolas-Denis (maître en 1761) pendant près de cinquante
ans. On retrouve également deux autres fers de cet atelier, une petite palmette et une rouelle en pointillés –
ils se retrouvent par exemple tous les trois sur la reliure du volume reproduit par Louis Marie Michon sur
la planche
XXXV
de son ouvrage. Les décors à répétition, initialement conçus par le relieur Antoine-Michel
Padeloup dans les années 1720, connurent une grande vogue jusque dans les années quarante, et furent
encore employés dans l’atelier Derome jusque dans les années 1760 au moins.
Une indication sur la datation de la présente reliure peut se trouver parmi les
fi
ligranes du papier de ses
gardes, dont un se lit « A. Vimal
fi
n Auvergne 1742 »
L
A
R
ATIO
STUDIORUM
,
PREMIER
PROGRAMME
PÉDAGOGIQUE
JÉSUITE
IMPRIMÉ
.
Saint Ignace de Loyola, fondateur
de l’ordre des Jésuites, considéra d’abord les collèges comme des séminaires de la compagnie pouvant
éventuellement accepter d’autres élèves. L’expansion de l’Ordre augmenta les besoins en matière
d’éducation, et mena à la fondation de nombreux collèges, mais
fi
t aussi sentir la nécessité d’une règle
commune en matière pédagogique. Dans la quatrième partie de ses
Constitutions
(1558), saint Ignace
indiquait les grands principes mais précisait que cette règle commune serait établie plus tard sur la base
des expériences particulières. Une intense ré
fl
exion était alors engagée sur ce sujet, notamment par les
PP. Jerónimo Nadal, Diego de Ledesma, Juan Polanco et Juan Pedro Perpiñán, puis une première
Ratio
studiorum
fut envoyée en 1569 sous forme manuscrite dans les provinces par le supérieur général Francisco
de Borja, lequel accordait une grande liberté d’interprétation aux collèges. C’est au supérieur général
Claudio Acquaviva que revint le mérite d’établir la règle commune évoquée par saint Ignace. Après une
première tentative restée sans suite en 1581, il nomma en 1583 une commission de six jésuites : l’Espagnol
Juan Azor, le Portugais Gaspar Gonçalves, l’Écossais James Tyrie, le Hollandais Peter Buys, Antoyne
Goyson, né dans les Pays-Bas espagnols, et l’Italien Stefano Tucci. Les Pères travaillèrent de décembre
1583 à août 1584, et rendirent deux documents : un texte spéculatif sur la doctrine théologique de l’ordre
(
De Opinione delectu
), et un texte de pédagogie pratique (
Praxis et ordo studiorum
). L’ensemble fut revu par
Acquaviva et soumis aux théologiens jésuites du Collège romain, qui réduisirent notamment la partie
spéculative tout en lui adjoignant un commentaire.
S
YNTHÈSE
ENTRE
LES
TRADITIONS
MÉDIÉVALES
ET
HUMANISTES
,
LA
R
ATIO
STUDIORUM
propose de combiner
l’enseignement de type scolastique – notamment tel qu’il était prodigué à Paris (
modus parisiensis
) – avec
l’enseignement des humanités, mais celui-ci modi
fi
é dans une perspective chrétienne inspirée par le
mouvement des Frères de la vie commune. Cette première
Ratio studiorum
de 1586
fi
xe un état de la discussion
tout en suggérant des solutions, et se présente donc comme une suite de petits traités relatifs à la doctrine, à
l’administration, au curriculum et à ses programmes, ainsi qu’à la méthode et à la discipline. Le petit volume
imprimé fut expédié en avril 1586 à tous les provinciaux – la Compagnie s’organisait alors en 21 provinces
comprenant en tout 10 maisons professes et 144 collèges – avec pour consigne de se réunir avec cinq jésuites
éminents de leur province a
fi
n de formuler et transmettre des remarques et critiques sur ce projet. Trois des
membres de la commission (les Pères Tucci, Azor et Gonçalves) s’attelèrent alors à la rédaction d’une version
corrigée tenant compte des rapports reçus, remaniée sous forme de règlement, et à son tour imprimée en
1591.
L
A
PRÉSENTE
R
ATIO
STUDIORUM
DE
1586
EST
LA
SEULE
À
CONTENIR
LE
TRAITÉ
DOCTRINAL
JÉSUITE
CONDAMNÉ
PAR
LE
S
AINT
O
FFICE
,
JAMAIS
RÉIMPRIMÉ
.
Dans la partie spéculative de la
Ratio studiorum,
intitulée «
De Opinionum
delectu in theologica facultate »
(ici pp. 9 à 53 et 311 à 330), les jésuites présentaient la base de leur enseignement
théologique, c’est-à-dire la pensée de saint Thomas d’Aquin, mais avec des restrictions. L’Ordre, déjà en
butte aux attaques de l’Inquisition espagnole, et conscient de l’aspect polémique de leur doctrine, soumit
le
De Opinione delectu
au pape : le Saint-O
΀
ce émit une condamnation sans appel, jugeant ces restrictions
comme dangereuses et procédant de la même méthode que la théologie luthérienne. Le texte fut d’abord
remanié mais
fi
nalement exclu de la
Ratio studiorum.
Une nouvelle version imprimée en 1591 fut à nouveau soumise aux critiques des provinciaux et théologiens
de l’Ordre, et la version dé
fi
nitive fut imprimée en 1599 – le texte imprimé en 1616 présente néanmoins
d’in
fi
mes retouches.
O
RGANISÉS
SELON
LES
PRINCIPES DE
CETTE
R
ATIO
STUDIORUM
,
LES
COLLÈGES
JÉSUITES
CONTRIBUÈRENT À
STRUCTURER
LA
CULTURE
EUROPÉENNE
EN
FORMANT
L
ÉLITE
INTELLECTUELLE
JUSQU
À
LA
SUPPRESSION DE
L
ORDRE
EN
1773.