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SAINT-EXUPÉRY, Antoine de
Longue lettre autographe signée «
Antoine
», 7 pages in-8 ; (Paris, 31 octobre
1920). Enveloppe.
Remarquable missive littéraire et artistique, où Antoine de Saint-
Exupéry cite et commente des vers de Heredia, Samain, Vigny, Verlaine,
et dit sa préférence pour les nocturnes de Chopin…
La lecture de la carte que lui a adressée d’Amérique sa correspondante et amie
Bernardine de Menthon, a éveillé en lui de nombreux souvenirs : «
… du
‘marchand de Venise’ des « Romanesques » de Rostand, des partitions que j’essayais en
vain de déchiffrer sur un violon réfractaire… Je suis resté longtemps en admiration
devant la tête de ‘ héros inconnu’ qui est une merveille. Ne trouvez-vous pas que ce
vers de Haeredia la symbolise : « Jeune encore et pleuré des héros et des vierges ».
A propos de poésie, je suis plongé dans Samain
(dont le jeune Antoine admirait
notamment à l’époque
Le Chariot d’or
)
que je trouve chaque jour plus beau. Il a des
fns de strophes indéfnissables, des vers qui ne s’achèvent pas et se répercutent dans la
mémoire : « Comme un sanglot de cor perdu sur les étangs… ». Il y a des trouvailles
de génie. Le beau ciel chromatique agonise sa gamme. Il y a tant de choses que je
vous en parlerais pendant huit jours si vous ne connaissiez pas tout cela aussi bien
que moi…
». A propos de «
cor
», il se demande quelle différence il y a entre dire
les choses et les évoquer : «
… Vous vous souvenez de la poésie de Vigny : « Le cor
éclate et meurt, renaît et se prolonge »… on se représente en effet assez bien cette note
qui éclate et meurt… Mais dans ce vers de Verlaine où il ne décrit pas le son, comme
celui-ci est pourtant puissamment évoqué : « Voix de l’orgueil, voix puissante comme
d’un cor…
». A son avis, ce vers est un poème.
Parallèlement à Samain en poésie, en musique le jeune Saint-Exupéry s’est pris
d’une passion pour Chopin. Il ne doute pas que son amie apprécie aussi cette
musique profonde et troublante, «
… cette musique du Nord. Il y a tout à coup au
milieu d’une phrase musicale deux notes qui sont des coups de sonde…
», remarque-
t-il, regrettant qu’on ne puisse les transcrire sur le papier comme les vers. Sa
préférence va vers les XI
e
, XIII
e
et le XV
e
nocturnes, qu’il parvient, bien mal, à
déchiffrer au violon.
Le concours de l’Ecole Navale est fxé au 15 juin, mais il a attrapé une jaunisse
qui l’a rendu malade deux mois et ne se console pas de ce temps perdu. Il travaille
toujours dans la même pièce noirâtre et décrépie avec un enthousiasme qui croît
chaque jour, et s’il est refusé, «
… il y aura le ‘ dépôt’ pour me consoler de la mer.
Je crois que je ne me consolerai jamais d’ être né un an trop tard et d’avoir manqué
la guerre…
». Son ami Louis de Bonnevie et lui exhalent tous deux leur rage en
maintes imprécations.
Il a fait d’innombrables vers depuis l’année dernière, «
… beaucoup trop, il
vaudrait mieux ne faire que des mathématiques, mais les mathématiques à la
longue…
». Il promet de lui lire des vers quand ils se retrouveront et s’excuse de
l’avoir ennuyée six pages durant. «
… Si vous m’ écrivez dites-moi votre avis sur
l’Amérique, racontez-moi votre traversée…
», etc.
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