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Un pastiche célèbre par Rimbaud, dans le sillage de l’Album zutique
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[RIMBAUD (Arthur)].
L’enfant qui ramassa les balles…
Sans lieu ni date
[Londres, 10 septembre 1872].
Manuscrit autographe signé
François Coppée
et contresigné
P.V. :
sous verre, cadre de bois naturel.
Remarquable manuscrit autographe d’un pastiche fameux de François Coppée par Arthur Rimbaud, « chef-d’œuvre
du persifage » (A. Guyaux) – et plus encore…
Il fut inscrit à Londres, le 10 septembre 1872, par Arthur Rimbaud dans l’album du peintre Félix Régamey à qui le poète rendit
visite, en compagnie de Verlaine.
Près d’un quart de siècle plus tard, Régamey évoqua cette entrevue dans son
Verlaine dessinateur
(Floury, 1896) : « À me voir
peindre et dessiner, l’inspiration s’empare de Verlaine, et…mon album s’enrichit de deux perles. C’est
Napoléon III après Sedan
et le
Prince impérial.
Chaque dessin est accompagné de vers absolument cocasses, parodiant le style de Coppée, effrontément
signés d’un paraphe bouff à la Joseph Prud’homme [sic], où les trois points du franc-maçon sont remplacés par une petite
croix, frétillante allusion à la douceur évangélique du poète des humbles. »
« En réalité, si le dizain sur Napoléon III – qui est surmonté d’un dessin représentant l’empereur déchu – est bien de Verlaine,
l’autre « vieux-Coppée » est de Rimbaud, qui l’a recopié lui-même à la suite de celui de son ami. Les deux compositions rimées
sont d’ailleurs en miroir : l’une et l’autre sont surmontées d’une petite caricature, empruntent leur dernier vers à un autre
poète (un vers du
Passant
de Coppée pour Rimbaud), et toutes deux sont signées « François Coppée », avec le même paraphe
tirebouchonné à plaisir » (Jean-Jacques Lefrère).
Si l’identité du scripteur ne fait aucun doute – c’est bien Rimbaud qui tient la plume – une question subsiste quant à l’auteur du
pastiche : en se fondant notamment sur le monogramme P.V. qui fgure au bas du feuillet après la signature fctive de François
Coppée, certains l’attribuent à Verlaine. Jean-Jacques Lefrère et André Guyaux le rendent à Rimbaud, et dans son édition des
Œuvres complètes
de Rimbaud parues dans la collection de La Pléiade en 2009, Guyaux remarque que « le prince impérial et
l’
Habitude
sont des thèmes rimbaldiens. »
Une parodie sévère.
« Le poème de Rimbaud traite des plaisirs solitaires que la rumeur publique attribuait au prince Louis, alors âgé de seize ans.
Pour le lecteur qui n’aurait pas saisi les insinuations sur les pratiques solitaires du prince à l’œil « approfondi par quelque
immense solitude », Rimbaud s’est cru obligé de renforcer par une majuscule la première lettre du mot
habitude
et même
d’expliciter son astuce du « bel Enghien » – engin/Enghien – en inscrivant, sous son poème, la formule-réclame de l’« Enghien
chez soi » (c’était une publicité, très diffusée dans la presse de l’époque, pour l’appareil d’inhalation de l’eau de la station
thermale d’Enghien-les-Bains) » (Lefrère).
Au-dessus du poème, très amusant portrait-charge du prince impérial : « le dessin (…) donne au
buste exquis
du prince,
démarquant des caricatures de l’époque, deux ailes d’ange qui sont la réplique dérisoire de celles de l’aigle impérial »
(A. Guyaux).
Ce dessin a été reproduit en 1896 dans le
Verlaine dessinateur
de Félix Régamey. L’attribution a cependant été contestée,
notamment par Steve Murphy qui fait valoir qu’il s’agirait d’une copie assez sommaire, par Rimbaud, d’une caricature
du prince impérial en serin parue dans
La Ménagerie impériale.
« Dans cette parodie de Coppée, les ailes d’ange ont une
signifcation profondément ironique (cf.
Angelus
de Coppée, où l’enfant angélique dépérit, puis meurt, poème parodié par
Rimbaud dans
Les remembrances du vieillard idiot
). Si l’on pouvait être tenté d’attribuer le dessin à Verlaine, nous sommes
convaincus qu’il s’agit cette fois d’un croquis de Rimbaud » (Murphy, Arthur Rimbaud,
Œuvres complètes,
1999, p. 808). Pour
Jean-Jacques Lefrère, le dessin est de Verlaine, d’où les initiales inscrites en bas à droite de la page.
Parfait état de conservation.
Provenance : le manuscrit fut longtemps inséré dans un des douze exemplaires sur japon de
Verlaine dessinateur
 (le n
o
 2,
dédicacé par Régamey à Henri Cordier), chaque exemplaire sur japon contenant une des pièces autographes reproduites dans
l’ouvrage. Cet exemplaire fgura sur le catalogue n
o
 64 de la librairie Loliée en 1937, puis sur le catalogue de juin-juillet 1938
de la librairie Ronald Davis. Il fut acquis par Jacques Guérin.
(Rimbaud,
Œuvres complètes,
édition établie par André Guyaux & Aurélia Cervoni, Pléiade, 2009, pp. 916-918).
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