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de couleur. Dans l'atelier de Jean Dunand, c'est
son fils Bernard qui se lancera dans la mise au
point de ces laques de couleurs transparentes.
Il parviendra à varier les tons et les valeurs de
façon tout à fait remarquable, encouragé par Jean
Dunand qui trouvait dans ces innovations matière
à les utiliser personnellement. Avec le recul du
temps, l'attrait de la nouveauté ne semble plus
intéresser autant Bernard Dunand qui se plaît à
reconnaître aujourd'hui que la laque naturelle ne
doit pas être travaillée en un trop grand nombre
de couleurs, car toute l'habileté du travail du
laqueur consiste à parvenir à une évocation des
nuances avec la palette réduite dont il dispose
naturellement. A la vérité, la laque n'est pas de
la peinture et il convient donc de l'utiliser en
respectant ses règles spécifiques.
Il faut noter que, en français, le mot laque est
masculin lorsque l'on parle d'une œuvre exécutée
dans cette matière, et féminin lorsque l'on
désigne la matière elle-même.
Ainsi, on dira d'un grand panneau décoré qu'il
s'agit « d'un laque », alors que l'on précisera qu'il
a été exécuté avec « de la laque ».
Les techniques de fabrication
Les techniques de fabrication varient selon les
objets à réaliser.
Jean Dunand choisissait donc avec une extrême
précaution ses panneaux de bois qui, de toutes
façons, devaient être travaillés selon des méthodes
spéciales pour pouvoir résister à l'humidité.
Après avoir eu comme chambre humide, pour
le séchage de ses premiers objets laqués, de
simples armoires, Jean Dunand a pu installer
après la guerre de 1914-1918 une pièce assez
vaste pour y faire durcir la laque de plusieurs
paravents à la fois. Ayant résolu son manque de
place par l'adjonction de nouveaux locaux, il
construisit lui-même, avec l'aide d'ouvriers de
l'atelier, quatre chambres humides. Placée au rez-
de-chaussée de l'atelier, c'était une sor te de
caveau en ciment, sans ouver ture autre que la
por te par laquelle on entrait pour placer les
meubles et objets et qui fermait hermétiquement.
On y pénétrait de plain-pied et, à l'intérieur, l'eau
coulait sur les murs de façon régulière, afin de
maintenir une humidité constante. La laque na-
turelle étant une diastase, c'est cette humIdité
qui occasionne, par fermentation, à la fois son
durcissement par oxydation et son séchage.
Dès le laquage des premiers paravents, réalisés
en contreplaqué et construits à l'extérieur
de l'entreprise familiale, Jean Dunand eut de
nombreux déboires, causés principalement par la
déformation des bâtis lors de leur séjour en cham-
bre humide. Là encore, comme pour les hélices
d'avion, la colle for te y gonflait sous l'ef fet de
l'eau: les assemblages se décollaient et
s'ouvraient. Il prit alors la décision d'ouvrir un
petit atelier d'ébénisterie et engagea à plein
temps le charpentier avec lequel il avait procédé
à l'agrandissement de son atelier une fois
récupéré le local de Heinsius. Il fit l'acquisition
de matériaux de récupération sur des chantiers
de démolition et réalisa alors tous ses collages à
la caséine, matière ayant l'avantage de ne pas se
dissoudre à l'humidité. Il installa par la suite, vers
1925, en ouvrant un véritable atelier d'ébénisterie,
l'une des plus grandes presses à bois de la région
parisienne. Il est vrai que la taille des œuvres qu'il
entreprenait l'obligeait pratiquement à le faire.
De même, à cette époque, il installa toutes les
machines nécessaires à sa nouvelle entreprise
pour dégauchir les grands panneaux, les raboter
ou les cintrer, ajoutant des scies à ruban,
des scies circulaires, des toupilleuses, des
mortaiseuses, etc. Débités selon les besoins, les
panneaux étaient ensuite emmagasinés dans un
grand hangar pour y par faire leur séchage avant
d'être façonnés.
Les bois les plus adaptés à recevoir la laque ne
doivent pas être trop durs, ni trop denses, afin que
les premières couches de laque puissent bien y
pénétrer. De plus, ils doivent avoir un grain aussi
régulier que possible et ne pas avoir de veines dures
et de veines tendres alternées de façon trop
marquée, ni présenter de nœuds ou de défauts. Le
noyer de nos campagnes de France, le tilleul,
le tulipier ou l'acajou constituent les meilleurs
supports qui soient. Les Japonais parlent de ces ar-
bres en disant que la laque en est « amoureuse »,
tellement elle y pénètre bien.
Le contreplaqué que Dunand exécutait dans ses
ateliers était en général fabriqué avec une âme de
peuplier, exécutée en lattes de bois de section car-
rée, collées les unes aux autres pour former une
planche. Une fois séchée à la presse, cette planche
était dégauchie pour corriger le peu de jeu qui
pouvait encore exister, après quoi on collait sur
chaque face deux ou trois placages successifs, en
les posant de telle sorte que le sens des veines du
bois se contrarie. Dunand recommandait de
n'utiliser que des feuilles de bois se suivant dans le
débitage, afin d'être certain qu'elles aient les
mêmes réseaux de veines pour réagir de la même
façon une fois collées sur chacune des deux faces.
Les meubles laqués devaient être construits selon
une technique spéciale, en rejetant toute partie en
bois debout, inapte à être laquée parce que se
déformant de quelque façon qu'elle soit utilisée,