Page 11 - cat-vent_lafon14-03-2012

Basic HTML Version

- 14 MARS 2012
11
48.
Victor HUGO.
1802-1885. Écrivain, poète.
Manuscrit aut. signé « Victor Hugo ».
Paris, 8 juin 1872.
2 pp. recto sur bi-feuillet in-folio ; pli marqué.
Paris, 8 juin 1872.
7 000/8 000
Célèbre texte, que publiera Léon Richer, véritable manifeste féministe de Victor Hugo :
(…) Depuis quarante ans je plaide la grande cause
sociale à laquelle vous vous dévouez noblement.
Il est douloureux de le dire, dans la civilisation actuelle, il y a une esclave. La loi a des
euphémismes, ce que j’appelle une esclave, elle l’appelle une mineure ; cette mineure selon la loi, cette esclave selon la réalité, c’est la
femme.
L’homme a chargé inégalement ces deux plateaux du code dont l’équilibre importe à la conscience humaine, l’homme a fait verser tous
les droits de son côté et tous les devoirs du côté de la femme. De là un trouble profond, de là la servitude de la femme. Dans notre législation
telle quelle est, la femme ne possède pas, elle n’est pas en justice, elle ne vote pas, elle ne compte pas, elle n’est pas. Il y a des citoyens, il n’y a
pas de citoyennes. C’est là un état violent, il faut qu’il cesse (…) Il faut que les gouvernants finissent par rejoindre les philosophes, quand cette
jonction est faite à temps, le progrès est obtenu et les révolutions sont évitées. Si l’injonction tarde, il y a péril.
Sur beaucoup de questions, à
cette heure, les gouvernants sont en retard.Voyez les hésitations de l’Assemblée à propos de la peine de mort. En attendant, l’échafaud sévit.
Dans la question de l’éducation, comme dans la question de la répression, dans la question de l’irrévocable qu’il faut ôter du mariage et de
l’irréparable qu’il faut ôter de la pénalité, par la question de l’enseignement obligatoire, gratuit et laïque, dans la question de la femme, dans
la question de l’enfant, il est temps que les gouvernants avisent. Il est urgent que les législateurs prennent conseil des penseurs, que les hommes
d’État, trop souvent superficiels, tiennent compte du profond travail des écrivains, et que ceux qui font les lois obéissent à ceux qui font les
mœurs.
La paix sociale est à ce prix. Nous philosophes, nous contemplateurs de l’idéal social, ne nous lassons pas. Continuons notre œuvre.
Étudions sous toutes ses faces, et avec une bonne volonté croissante, ce pathétique problème de la femme dont la solution résoudrait presque
la question sociale tout entière. Apportons dans l’étude de ce problème plus même que la justice ; apportons-y la vénération, apportons-y la
compassion. Quoi ! Il y a un être, un être sacré, qui nous a formés de sa chère, vivifiés de son sang, nourris de son lait, remplis de son cœur,
illuminés de son âme, et cet être souffre, et cet être saigne, pleure, languis, tremble. Ah ! Dévouons-nous, servons-le, défendons-le, secourons-le,
protégeons-le. Baisons les pieds de notre mère !
Avant peu, n’en doutons pas, justice sera rendue et justice sera faite. L’homme à lui seul n’est pas l’homme ; l’homme, plus la femme, plus
l’enfant, cette créature une et triple constitue la vraie unité humaine. Toute l’organisation sociale doit découler de là. Assurer le droit de
l’homme, sous cette triple forme, tel doit être le but de cette providence d’en bas que nous appelons la loi.
Redoublons de persévérance et d’efforts. On n’en viendra, espérons-le, à comprendre qu’une société est mal faite quand l’enfant est laissé sans
lumière, quand la femme est maintenue sans initiative, quand la servitude se déguise sous le nom de tutelle, quand la charge est d’autant plus
lourde que l’épaule est plus faible ; et l’on reconnaîtra que, même au point de vue de notre égoïsme, il est difficile de composer le bonheur de
l’homme avec la souffrance de la femme.
49.
Victor HUGO.
1802-1885. Écrivain, poète.
L.A.S. « Victor Hugo ».
Mardi, 7 novembre (1871).
2 pp. in-8 liseré de noir.
2 000/2 500
Superbe texte dans lequel Hugo évoque son exil et défend la cause des droits de l’enfant et de la femme ;
On m’a demandé d’urgence mon
intervention pour les condamnés à mort.
L’accomplissement de ce devoir a retardé ma réponse à votre excellente lettre.
Vous avez raison
de compter sur moi pour affirmer l’avenir de la femme. Dès 1849, dans l’Assemblée Nationale, je faisais éclater de rire la majorité réac-
tionnaire en déclarant que le droit de l’homme avait pour corollaires le droit de la femme et le droit de l’enfant. En 1853, à Jersey, dans
l’exil, j’ai fait la même déclaration sur la tombe d’une proscrite, Louise Julien, mais cette fois on n’a pas ri, on a pleuré. Cet effort pour
qu’enfin justice soit rendue à la femme, je l’ai renouvelé dans les Misérables, je l’ai renouvelé dans le congrès de Lausanne et je viens de le
renouveler encore dans la lettre au Rappel que vous voulez bien me citer. J’ajoute que tout mon théâtre tend à la dignification de la femme.
Mon plaidoyer pour la femme est, vous le voyez, ancien et persévérant, et n’a pas eu de solution de continuité
. L’équilibre entre le droit de
l’homme et le droit de la femme est une des conditions de la stabilité sociale. Cet équilibre se fera. Vous avez donc bien fait de vous mettre
sous la protection de ce mot suprême : l’Avenir.
Je suis, Monsieur, avec ceux qui comme vous veulent le progrès, rien que le progrès, tout
le progrès (…).
49