Page 5 - DocHdl1OnPRS001tmpTarget

Version HTML de base

AUTOGRAPHES
1
B
ERNARD
(E
MILE
),
peintre et poète. L.A.S. à une amie [Jeanne Roldès].
8 pp. in-8
. Sur papier à en-tête de la Rénovation
esthétique
orné d’un joli bois gravé
.
Longue et superbe lettre littéraire et amoureuse agrémentée d’un long poème sur Prométhée (55 vers).
« Je voulais vous
écrire plus tôt, mais j’ai craint de vous importuner par la fréquence de mes lettres.
Vous savez combien je me sens d’intérêt pour
vous,
vous comprendrez donc que sitôt que je reçois une de vos missives, l’envie immédiate de vous répondre me saisisse. Puis je
me remets, pour être raisonnable. Donc vous venez de lire
Œdipe, le type de tous les malheurs humains.
Ce malheureux crut se
ravir à la fatalité qui le poursuivait en s’arrachant les yeux et en se dévouant pour ses concitoyens.
L’arrachement de nos yeux ne
peut-il être au contraire la cause la plus terrible de l’augmentation de nos peines ?
N’est-ce pas les voir doublement que de les
regarder en soi même ? et ne voir qu’elles ? Il y a néanmoins un beau symbole dans ceci, et il signifie, je crois, que nos malheurs nous
ôtent les yeux pour tout le reste. Vous vous obstinez à rester silencieuse sur votre effigie. C’est trop de discrétion sur vous même et
sur mon pauvre essai que je compte bien renouveler quand vous serez ici […]. Ce qui m’enchante, c’est que votre Héros est poète
et qu’il fasse des sonnets. Je voudrais bien et lire ces sonnets et les entendre chanter par votre voix aux inflexions si pleines d’âme
[…].
Nous sommes des oiseaux à quatre pattes nous les chanteurs, jongleurs, trouvères, bardes, etc. C’est nous qui, dans la
noire forêt de la vie, donnons des concerts gratis, qui reposent les âmes et les cœurs.
Je suis bien content que vous vous mettiez
des nôtres. Vos vingt ans seront une bénédiction, un clair ruisseau d’eau vive et gazouillante parmi nos voix sévères de vieux troncs
d’arbre […]. L’Œdipe que vous venez de lire est bien celui de Sophocle, n’est-ce pas ? De qui était la traduction ? Etait-ce Œdipe-roi
ou Œdipe à Colonne ?
Je vous signale comme suite admirable à Œdipe des Frères Ennemis de Racine, notre Sophocle à nous.
J’admire à l’égale de l’antiquité cette merveille.
C’est l’histoire des fils d’Œdipe, Eléocle et Polynice qui se combattent et se
tuent, pour acheminer cette race maudite d’Apollon.
Ah le dieu des arts est puissant. Il ne faut pas s’en moquer !...
Vous voulez
sans doute que je vous dise ce que je fais, eh bien apprenez charmante amie que
je viens de terminer un Prométhée en vers.
Ce
n’est pas un poème tragique, mais un simple poème en trois chants. J’y fais le procès du malheureux Prométhée, qui a cru, dans sa
sincérité, faire le bonheur des hommes et qui les a voués au malheur du travail et des préoccupations matérielles. Jupiter le reprend
vertement et défend les Dieux, qui sont la Beauté, l’Harmonie, la Force. Mes fiers olympiens dominent ton génie / Car ils sont la
Beauté, la Force, l’Harmonie / Le monde vit de leurs accents […] » [55 vers au total].
« Je vous prie de lire ceci à haute voix, les
vers doivent se lire ainsi, pour les bien sentir
[…]. Nous lisons en ce moment à haute voix, le soir, la Chanson de Roland, que
nous continuerons par Roland Furieux de l’Arioste. Vous le voyez, nous sommes toujours dans le moyen-âge […]. Voilà où j’en suis
charmante et bienveillante amie. C’est assez vous démontrer que
je veux prendre toute la place libre en vous,
que vous dire ma vie
spirituelle, de ne rien vous en cacher et de vous faire voir combien je serais heureux que vous en preniez souci.
Lisez, vivez, le soleil
reviendra bientôt. Il y aura des fleurs, des oiseaux, la nature elle même se fera poète avec le printemps, alors, sans doute, vous
reviendrez et vous serez vous-même, sous l’azur, un bel amandier en fleurs […] ».
800 / 1 200
E
- 3 -