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181.
Léon BLOY
. L.A.S. (non envoyée), 24 rue Rousselet
[mars 1885], à Edmond de
Goncourt
 ; 3 pages in‑8,
enveloppe.
800/1.000
Extraordinaire requête du rédacteur du
P
al
à
un ennemi littéraire.
« Je suis votre ennemi. Du moins, j’ai été votre
ennemi jusqu’à ce jour, peut-être même l’ennemi le
plus violent que vous ayez eu. – Le meilleur ami que je
me connaisse dans l’étable à pourceaux qu’on appelle la
littérature contemporaine,
Huysmans
, m’a assuré vingt
fois que j’étais injuste. M.
Barbey d’Aurevilly
me l’a
dit aussi. N’importe. J’ai continué de foncer sur vous, en
taureau
spiritualiste
que j’étais […] Il est vrai que la récente
lecture d’
Henriette Maréchal
a quelque peu diminué ma
rage »… Il en vient alors au sujet de sa demande : « Je suis
un désespéré, vomi par toute la presse. J’ai passé dix ans
de famine à poursuivre le merle blanc de la Vérité et de
l’Équité littéraire absolues. J’ai déjeuné quelquefois de
croûtes de pain ramassées dans des ordures. Quand une
feuille quelconque m’était ouverte, j’ai dit ce que je croyais
être juste et vrai, sans jamais recourir à la salauderie du
pseudonyme, offrant toute ma personne à tous les coups.
Ces derniers jours, aidé d’un ami presque aussi pauvre que
moi j’ai créé
Le Pal
[…] En attendant le succès qui, par
miracle, semble me venir, malgré l’hostilité silencieuse de
la presse entière, que je contemne de toute la force de mon
désespoir, je suis affamé, expirant, en danger et l’idée m’est
venue d’aller à vous, précisément parce que j’ai
toujours
été votre ennemi et que vous ne me devez rien […] J’ai
besoin de 50 fr. que je vous rendrai si je peux ou que je ne
vous rendrai pas, mais alors, il faudra crever, désagrément
ultime qui du moins ne sera pas accompagné pour moi de
l’horreur infinie d’avoir pollué ma plume, ni mon cœur en
me prostituant pour les quatre sous que vaut la célébrité à
la vomitive camaraderie du Journalisme contemporain »…
182.
Léon BLOY
. 6 L.A. (brouillons ou minutes), 1885 ; 8 pages formats divers.
400/500
29 avril
, à Richard
Wallace
 : il lui envoie les 4 numéros parus du
Pal
, pamphlet qui a été « étouffé par le silence
universel. […] J’ai fouillé tout Paris pour y découvrir un homme puissant, un esprit fier et indépendant qui voulut
continuer avec moi cette œuvre de courage. […] Soyez mon lord protecteur »…
11 juillet
, à M.
Frenet
(de Périgueux), évoquant la mort de sa maîtresse Berthe
Dumont
 : « Le 11 mai dernier,
jour inoubliable pour moi, expirait dans la plus douloureuse des agonies, une jeune fille qui était ma fiancée et
l’espérance suprême de ma vie misérable. Fiancée si pauvre que je dus me charger des funérailles et mendier pour y
parvenir. Imaginez le crucifiement et l’abomination de cette chasse à l’argent sur un cadavre ».
27 août
, à un ami rencontré à La Salette en 1880. Il se remémore leur rencontre à La Salette et évoque son premier
livre
Le Révélateur du Globe
, qui lui a valu un grand silence de la presse catholique, son passage au
Figaro
, « un
moment d’éclat dans ma vie », et sa situation actuelle. Il est à bout de forces et appelle au secours : « Serait-il possible
[…] que vous fussiez en position de manière ou d’autre de tirer des griffes de la plus mortelle misère un apologiste
chrétien près de succomber ? »…
17 octobre
, au duc de
Camposelice
 : il souhaite lui envoyer son livre sur Christophe
Colomb
, « livre hautement
vanté par une majeure partie de l’Épiscopat […] mais étouffé par la silencieuse malveillance de la presse catholique
française et qui n’a même pas donné à son auteur un morceau de pain » ; il lui demande du secours…
Au directeur de
La Ligue
, au sujet d’un article où il est clairement désigné « comme virtuose du parfait chantage
et comme escroc. […] Je n’ai pas à me reprocher d’avoir jamais eu recours à la salauderie du pseudonyme, j’ai toujours
montré mon visage. Nul ne peut m’accuser d’avoir pollué ma plume ni mon cœur en me prostituant pour les quatre
sous que vaut la célébrité à la vomitive camaraderie du journalisme »…
Lettre inachevée à une amie, lors du dégel après un froid rigoureux : « la bise la plus atroce a soufflé sur les
membres souffrants du Seigneur. Je me suis, comme toujours, souvenu des riches et je n’ai pas senti mes entrailles se
dilater dans une émotion fraternelle »… Au dos, il a calligraphié son monogramme à la mine de plomb.