collection Victor Segalen (1878-1919)

2 GROS & DELETTREZ - LIVRES & MANUSCRITS (COLL. SEGALEN) - 31 JANVIER 2024 VICTOR SEGALEN (1878-1919) Deux jours que l’on restait sans nouvelles de lui. Le 23 mai 1919, ses proches se mirent en quête et le découvrirent mort au pied d’un arbre de la forêt bretonne de Huelgoat, dans son veston de marine, le volume de Shakespeare (celui qui l’avait accompagné en Chine) encore ouvert, une photo de sa femme, Yvonne, placée entre les pages qu’ils avaient lues ensemble en ce même lieu, quelques jours plus tôt. Blessé à la jambe, le médecin qu’il était avait fabriqué un garrot de fortune. Victor Segalen, né le 14 janvier 1878 à Brest, disparaissait dans cette énigme, à 41 ans. Sa courte vie fut si intensément remplie qu’on en reste médusé : médecin, poète, romancier, explorateur, archéologue, il a écrit des milliers de pages, dont une infime partie fut publiée de son vivant. La Polynésie puis la Chine furent les deux « ailleurs » d’un écrivain qui ne vécut, selon ses termes, que pour « voir le monde, et puis dire sa vision du monde ». Mais qu’allait donc chercher ce jeune Breton aux antipodes ? Lui-même, comme dans son Essai sur soi-même, ou l’Autre, tel qu’il se présente dans son Essai sur l’exotisme ? Ou bien les deux, dans le mouvement incessant de son œuvre-vie… « Tu ne seras pas comme les autres. » Le « mot magique », avec ses interdits et ses promesses, est prononcé par sa mère qui voulait en faire un pharmacien… Victor Segalen naît avec une constitution fragile, dans une famille de la petite bourgeoisie. Il grandit étouffé par cette mère intrusive et très catholique. Élève brillant, il rêve de fuir en devenant officier de marine mais sa myopie l’oriente vers la médecine navale. Épris de musique et de littérature, il découvre Huysmans, l’auteur du bien nommé En route. Segalen va le rencontrer à Paris. Dans sa thèse de doctorat, consacrée aux pathologies décrites par les écrivains naturalistes, figure ainsi « l’hystéro-neurasthénie » de Des Esseintes, le héros de À rebours. Embarqué pour sa première affectation en janvier 1903 sur l’aviso La Durance chargé de rapatrier à Tahiti les bagages de Gauguin, mort quelques mois plus tôt, il découvre ce peintre. Lors de cette expédition, il participe à deux jours de ventes à l’occasion desquels il achète des œuvres de l’artiste. Dans une lettre datée du 2 octobre 1903 adressée à son ami et correspondant assidu, Emile Mignard (1878-1966), il détaille ses nouvelles acquisitions : « j’ai consacré 200f à l’achat de toiles, bois sculptés, croquis, album, du peintre Paul Gauguin, l’un des meilleurs Impressionnistes, qui, réfugié aux Marquises, vient d’y mourir. J’ai acquis à bas prix, à la vente publique, d’admirables choses : deux portraits de lui, une grande toile où défilent des Tahitiens, des bois sculptés dont je ferai tirer des épreuves, des croquis, des notes… ». C’est au mariage de cet ami fidèle qu’il rencontre sa future épouse. Le nouveau départ du médecin de Navale, désormais marié à Yvonne Hébert avec laquelle il aura trois enfants, le conduit vers la Chine, « ce monde à l’opposé du nôtre », écrit-il. Contrairement à Paul Claudel, il est convaincu que la clé du pays passe par l’apprentissage du chinois. Il devient élève-interprète d’une langue apprise à Paris aux Langues orientales et admire le sinologue Édouard Chavannes. En 1909, Segalen arrive à Pékin, et commence par réaliser son rêve d’expédition avec son ami et mécène Gilbert de Voisins, traversant la Chine d’est en ouest, avec la descente en jonque du Yang-Tsé. Cette nouvelle période de sa vie marque le début de trois expéditions archéologiques en 1909, 1914 et 1917 à travers la Chine laissant à la postérité de cet aventurier-poète l’image d’un passeur de culture.

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