Lot n° 237

STAËL GERMAINE NECKER, BARONNE DE (1766-1817). L.A., [Londres] 23 janvier 1814, à Benjamin CONSTANT ; 6 pages in-4 montées sur onglets et reliées en un volume petit in-4 cartonnage demi-chagrin noir (quelques manques au dos de la reliure).

Estimation : 4 000 - 5 000 €
Adjudication : 6 500 €
Description
♦ Très belle et longue lettre à Benjamin Constant, encore pleine d’attachement pour lui, disant son admiration pour sa brochure De l’Esprit de conquête et d’usurpation, et examinant la situation en France alors que l’Empire s’écroule.

[Benjamin CONSTANT a envoyé à Mme de Staël, installée à Londres, un manuscrit de son pamphlet contre Napoléon, De l’Esprit de conquête et d’usurpation, qu’il publiera le 30 janvier avant de rejoindre Bernadotte. Elle l’a fait lire à son ami James Mackintosh, et propose de le faire publier. On sait que les lettres de Mme de Staël à Benjamin Constant ont été détruites par leur fille Albertine de Broglie, à l’exception d’une quarantaine.]

« J’ai reçu vos feuilles et j’en suis dans l’admiration [...] Voulez-vous les faire imprimer sans aucun nom propre ? Cette forme à la Montesquieu vous paroit elle suffisament pressante pour le tems actuel ? Le libraire en parcourant le 1er chapitre a dit que sans noms propres il en donneroit cent louis mais cinq fois autant avec des noms. Si vous voulez vous détacher de la circonstance publiez votre grand ouvrage, si vous voulez vous rattacher à la circonstance mettez des noms propres ». Ce serait aussi une façon pour Constant de se faire connaître à Londres ; et en huit jours le livre pourrait être publié… « Est-ce que votre disposition est la même qu’il y a trois mois ? Et-ce que vous ne voyez pas le danger de la France ? Est-ce que vous ne sentez pas le vent de la contre révolution qui souffle en Hollande en Suisse et qui va bientot tout boulverser en France. Je suis comme Gustave Vasa j’attaquois Christiern, mais on m’a mis ma mère sur les remparts. Est-ce le moment de dire du mal des François quand les flammes de Moscou menacent Paris ? Pensez à tout cela et décidez. Mais sans flatterie dites vous que votre talent est incomparable – fixez sa route mais n’ayez pas une incertitude sur sa force ».

Elle a vu le Duc de Berry, « et je ne suis pas mal avec les Bourbons. S’ils reviennent il faut se soumettre car tout vaut mieux que de nouveaux troubles, mais ils ne sont en rien changés ni surtout ceux qui les entourent, et si le pouvoir absolu de Napoléon avoit contre lui l’Europe, le leur sera rivé par elle. Je voudrois causer avec vous mais sur quoi ne voudrois-je pas causer avec vous ? Il le faut cependant car au moins nos esprits resteront toujours en simpathie. […] Il n’est plus tems d’exciter contre les François on ne les hait que trop – et quand à l’homme quel cœur libre voudroit qu’il fut renversé par des cosaques ? […] Il faut qu’il signe une paix humiliante et demander une ass[emblée] représentative en France. Mais tant que les étrangers sont là pouvons-nous les aider ? L’opposition est ici de mon avis et vous savez si je hais Napoléon ! [...] Tout peut se dire dans un grand ouvrage mais dans un pamphlet qui est une action il faut que le moment soit bien choisi. On ne peut dire du mal des François quand les Russes sont à Langres. Dieu me bannisse de France plutôt que de m’y faire rentrer par des étrangers ». Elle servira Constant avec zèle…

Elle ne cessera de lui écrire : « Vous m’avez fait beaucoup de mal et plus je vis ici plus je vois que votre caractère n’est pas moral. Mais je respecte en vous votre talent et le sentiment qui a rempli mon cœur pendant tant d’années. Je serai donc toujours une amie pour vous – jamais vous ne devez en douter.
Quelle crise que ce moment ! La liberté est la seule chose qui soit dans le sang à tous les ages, dans tous les pays, dans toutes les situations – la liberté et ce qu’on ne peut en séparer, le patriotisme. Mais quelle combinaison que celle qui fait craindre la défaite d’un homme pareil ! La France n’a t’elle donc pas deux bras l’un pour repousser les étrangers et l’autre pour renverser la tyrannie ? Pourquoi le Sénat n’appelleroit-il pas le Prince de Suède [BERNADOTTE] comme négociateur de la paix ? Il devroit être le Guillaume trois de la France. Pourquoi n’allez-vous pas le voir ? […] Je l’ai vu de près et je le crois le meilleur et le plus généreux de tous les hommes qui peuvent régner ».

Les Princes sont partis recruter ; l’Angleterre « n’est pas pour eux mais très contre Bonap. En effet il n’y a pas de trèves possibles avec lui – et la France la France, si elle aimoit la liberté !! »…
Albertine de Staël a ajouté quelques lignes en tête de la lettre.

Correspondance générale, t. VIII, p. 461.

• Anciennes collections Alexandrine de ROTHSCHILD (29 mai 1968, n° 108),
puis
• Henry BRADLEY MARTIN (ex libris, vente Monaco 16-17 octobre 1989, n° 1238).
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