Lot n° 888
Sélection Bibliorare

SCHWEITZER ALBERT (1875-1965) MÉDECIN ET ORGANISTE. 31 L.A.S. (une non signée), la plupart de Lambaréné (Afrique Équatoriale Française) 1946-1950 et 1958, à Charles R. JOY ; 72 pages la plupart in-4 ou in-fol. sur papier pelure (bords parfois...

Estimation : 8 000 - 10 000 €
Adjudication : Invendu
Description
un peu effrangés avec quelques déchirures et petits manques), plusieurs avec son cachet encre, une enveloppe.

► Importante correspondance sur son hôpital de Lambaréné et sur ses livres, adressée à son ami, biographe, traducteur et éditeur américain Charles R. Joy, également responsable de programmes de secours humanitaires.

[Charles Rhind JOY (1885-1978), pasteur unitarien, engagé dans les secours humanitaires de 1940 à 1954 comme directeur exécutif de l’Unitarian Service Committee, directeur européen et directeur associé de la Save the Children Federation, consultant exécutif pour les affaires africaines pour la C.A.R.E. Mission, etc., rendit visite au Dr Schweitzer à Lambaréné en 1947. Les deux hommes se lièrent d’amitié. Auteur de nombreux livres d’introduction aux pays et aux peuples (Getting to know the Sahara ; Africa : a Handbook for Travelers, etc.), Joy fut aussi le traducteur en anglais des œuvres de Schweitzer, co-auteur avec Melvin Arnold de The Africa of Albert Schweitzer (1948), et auteur de Music in the Life of Albert Schweitzer (1951). Nous ne pouvons donner ici qu’un aperçu de cette riche correspondance.]

─ Lambaréné 19 octobre 1946.
Il raconte qu’étant allé dans son canoë chercher le courrier venant de Port Gentil, il a appris en même temps que l’hôpital avait largement dépassé son crédit à la Banque Commerciale Africaine qui réclamait 124.752 F (alors qu’il ne lui restait à la Banque de l’Afrique Occidentale que 30.000 F destinés aux dépenses courantes : « nourriture des nombreux malades indigènes, paiement des salaires des infirmiers et de travailleurs indigènes, etc. »), mais qu’une nouvelle banque avait reçu 388.822 F pour l’hôpital, provenant de l’Unitarian Service Committee U.S.A. ! Il a acheté plusieurs kilos de beurre du Cameroun pour fêter cela, et l’infirmière qui conduit le ménage lui a présenté une liste d’articles ; « en premier lieu des tissus pour le linge de la salle d’opération »… Il a acheté aussi 2.000 kilos de ciment, et assisté d’un vieux maçon, il a construit devant l’hôpital un quai d’accostage, qui permettra aux bateaux d’accoster en toute saison, le niveau du fleuve variant de plus de 6 mètres entre les hautes et basses eaux : « je suis redevenu maçon comme en 1925, 26 et 27 quand je construisais l’hôpital ». Il remercie de cet énorme secours alors que l’hôpital traverse des temps bien difficiles. « Je me consacre surtout aux ulcères phagédéniques, aux malades de cœur, au traitement des lépreux et à l’urologie. Je me consacre aussi particulièrement à maintenir la pharmacie en bon ordre »… Avec les deux nouveaux médecins, il fait beaucoup de chirurgie, mais il déplore l’enchérissement de la nourriture journalière des patients (bananes, manioc, riz)… Il donne des précisions sur le personnel infirmier, et charge Joy de remercier les membres du Committee… « Pendant que je vous écris dans la nuit, une petite antilope orpheline que nous élevons au biberon et qui habite ma chambre se promène sous ma table et de temps en temps frotte sa tête contre mes genoux pour demander une caresse »…

─ 12 juillet 1947.
Lettre en deux parties, « Affaires » et « Affaires littéraires » : coordonnées des transporteurs à son adresse, et du médecin qui le renseigne sur les médicaments américains, notamment contre la lèpre ; puis il avoue sa tristesse, et celle de son entourage, après le départ de Joy de Lambaréné. Détail des modifications à apporter à son anthologie…

─ 1er août.
Remerciement pour un envoi de 25.000 Ffrancs : « vous savez comment est ma vie… et elle était particulièrement dure dans ces semaines après votre départ. J’avais beaucoup à faire à l’hôpital »… Il parle aussi de son travail au jardin et à la conduite d’eau, et espère qu’il a reçu ses remarques sur l’anthologie. « Les deux photographies que le Dr Goldschmid a fait de M. Arnold, vous et moi sont admirablement réussies »…

─ 2 novembre.
Remerciements pour l’envoi de photos qui ont émerveillé tout le monde, et les nouvelles du livre Albert Schweitzer in Africa : « Il paraît que vous avez été assis à ma table de travail à Gunsbach en rédigeant les premiers chapitres… […] Ma vie est à présent encore plus remplie et plus difficile que quand vous étiez là. […] Et la main ne veut pas marcher du tout »… Puis il parle longuement du projet de traduction de sa thèse de médecine en 1912, Die Psychiatrische Beurteilung Jesu (contrats, droits, prélèvements par l’Office des réparations)…

─ 18 décembre
(3 lettres du même jour).
Il demande d’envoyer des colis aux nécessiteux de Königsfeld, zone d’occupation française où se trouve actuellement sa femme… Il explique le nouvel emploi du temps des infirmières, qui va lui permettre de « mettre un peu d’ordre dans le chaos où je vivais depuis le commencement de la guerre » ; le traitement d’une quarantaine de lépreux par le Dr Brad, les opérations du Dr Kopp… Il parle aussi de ses animaux, dont l’antilope Pamela… Il insiste pour qu’on annonce sobrement son anthologie, sans superlatifs, comme dans le Christian Register : « je souffre quand on parle de cette façon de moi. […] Personne de nous ne sait qui aux yeux de Dieu et de notre Seigneur Jésus-Christ est “the greatest soul in Christendom”. […] je n’ai aucun droit à cette qualification. Dieu m’a donné des dons, une santé robuste, de l’équilibre mental, et par les paroles du Christ j’ai connu que je devais les employer pour l’avènement du Royaume de Dieu, ce que j’essaie de faire en toute humilité. […] Combien est légère la croix que je porte moi pour suivre le Christ… la croix qui ne consiste qu’en fatigue que j’endure pour faire mon œuvre »…

─ 12 février 1948
(3 lettres).
Il se réjouit que la première édition de l’anthologie soit épuisée ; il la lit avec plaisir. Il attend le récit du séjour de Joy à Lambaréné… Il demande des secours pour son ancien élève, le pasteur Emil LIND, destitué depuis la guerre par le parti orthodoxe et interné un temps par les autorités d’occupation. « Il est vraiment victime de sa fidélité au protestantisme libéral et à moi » ; Lind vient de publier une biographie de Schweitzer, en Suisse… Affaires d’édition : il est question de sa Quest for the Historical Jesus (« Je tiens tant à ce livre et je voudrais que les étudiants puissent le lire »), de deux textes sur Goethe, de l’étude psychiatrique de Jésus, d’un recueil d’articles… Mais « il est bon que le public s’occupe de moi d’abord uniquement comme du défenseur de l’éthique du respect de la vie et du droit de la pensée libre en religion »… Une note confidentielle se moque de leur ami Melvin ARNOLD, un temps « exorcisé » du « démon des superlatifs », mais à nouveau possédé à son retour en Amérique…

─ 18 avril.
Réticences à propos d’un projet de livre Albert Schweitzer en Alsace : « il ne faut pas enrichir la littérature biographique intime sur moi en ce moment. Les gens ne doivent pas s’occuper de moi mais de ma pensée »… Du reste « en rentrant en Europe je dois me concentrer entièrement sur le volume de philosophie à terminer », et il ne le fera bien que dans une « concentration continue et extrêmement tendue. Et si je ne réussis pas cette fois à terminer le livre, je suis obligé d’abandonner l’espoir de pouvoir le faire. Car je serai trop vieux pour cela ! »… Quant à une nouvelle anthologie, Wit and Wisdom of Schweitzer, elle risquerait de nuire à l’autre.
« Autre chose. Je vois de plus en plus que je devrai entrer dans la lutte pour le christianisme libéral, qui est si menacé en Europe par le courant du temps »…

─ 9 mai.
Remerciements pour la traduction de sa thèse, The Psychiatric Study of Jesus, et son livre sur GOETHE, la personnalité dont il s’est le plus occupé, car « c’est un homme d’action tout en étant un poète, un penseur et, sur certains domaines, un savant et un chercheur »… Il commente longuement certaines idées de Goethe…

─ 9 mai.
Remarques sur trois chapitres de The Africa of Albert Schweitzer, qu’il renvoie à Joy et Arnold ; s’il fait preuve d’« impérialisme » sur leur texte, c’est parce qu’il faut que tout soit aussi exact que possible, « car je suis mis en cause »…

─ 26 mai.
Il autorise Joy à traduire l’article « Souvenirs de Ernest Munch » et son « Goethe penseur », et à traiter avec Payot, pour la publication de l’anthologie : il faut garder toute latitude pour verser des dons à l’hôpital de Lambaréné… Il propose de remanier en allemand le chapitre « The Struggle of Equitorial Africa », pour The Africa of Albert Schweitzer…

─ 12 juin.
Ce chapitre lui a donné du travail : « Je n’ai pas eu l’occasion depuis bien des années à écrire un exposé en allemand. Et comme je dois (et veux) me servir de cette langue pour mon troisième volume de philosophie, que j’entreprendrai prochainement […] il m’était profitable de m’y préparer et de m’entraîner à nouveau dans ce sport que j’avais délaissé pour un temps »…

─ 29 juillet.
Amusante réplique sur son « impérialisme » :
« Que diront M. Truman et Eleanor en apprenant que vous avez abdiqué le non-impérialisme si cher aux Américains pour succomber à l’impérialisme dont vous avez été infecté à Lambaréné »… Il supplie Joy de renoncer à son projet sur L’Esprit de sagesse A.S. :
« Il vous manque des écrits qui se trouvent dans mes grandes esquisses du 3e volume de philosophie s’étendant sur plus de vingt ans. Là-dedans se trouvent des sentences et de petits exposés qui donneront la vraie valeur à votre livre »… Il donne des nouvelles de son pélican blessé, et se réjouit du succès de l’anthologie : « un don de deux mille dollars en résulte pour l’hôpital ! »…

─ 18 août.
Sur l’édition Payot de son anthologie… Puis il avoue : « Ma vie devient toujours plus difficile. Parfois j’ai le sentiment que je ne puis plus maîtriser tout le travail que j’ai à faire. Je suis au désespoir de ne pouvoir en aucune façon suffire à ma correspondance et de régler les affaires que je devrais régler par lettres… Ce terrible mot “au-dessus de mes forces” (Über unsere Kraft) commence à obséder et à me paralyser »…

─ Gunsbach 31 octobre.
Il a revu sa conférence sur Goethe philosophe et répondu aux questions de Joy, content qu’il ajoute cette conférence à son livre…

─ 5 décembre.
Joie de recevoir The Africa of Albert Schweitzer… Il travaille à une préface pour un livre sur l’eschatologie de M. Mosley : « elle devient beaucoup trop grande et importante pour pouvoir être une préface. Et maintenant je termine l’ouvrage sans chercher à rester le plus court. Je ne suis plus un cocher qui retient son cheval, mais je lui mets la bride sur le cou et le laisse aller au tout, comme il veut, même si avec les pattes de derrière il esquisse un petit galop ! »… Il voudrait que Joy le traduise… Il a décliné l’invitation de faire un discours sur Goethe à Francfort, pour le bicentenaire de sa naissance…

─ 19 février 1949.
Sur son projet de voyage à Chicago et Boston, et le projet d’une petite anthologie de Wit and Wisdom : « dire que tous les honoraires sont pour l’hôpital ! Que de fois j’y pense, et avec quelle émotion »… Examen d’autres rééditions possibles : Das Spital im Urwald, Lettres de l’hôpital du Dr Albert Schweitzer, Kulturphilosophie, etc., ainsi que la possibilité de faire des discours et concerts pour faire de l’argent…

─ 7 août.
Il a emporté des U.S.A. de beaux souvenirs et des impressions profondes, et des regrets de l’absence de Joy…

─ Lambaréné 22 novembre.
Il a reçu la petite anthologie avant de quitter Gunsbach ; sur le bateau il a révisé plus de la moitié de la traduction allemande de L’Afrique d’Albert Schweitzer…

─ 10 décembre.
Depuis que Joy était à Lambaréné, tout a doublé de prix, mais « le grand don de Boston qui m’arrive comme par miracle me décharge de grands soucis »…

─ 26 février 1950.
Il fait un extrait de l’étude sur le Royaume de Dieu pour servir de préface au livre de M. Mosley…

─ 5 mai.
« C’est terrible de devenir déjà une légende de son vivant, surtout que ma vie ne s’y prête en rien. Oui, il y a une parenté entre votre travail pour les enfants sinistrés d’Europe et le mien pour les noirs, et aussi une parenté entre nous »… Les conférences de Joy sur Schweitzer contribuent « à ouvrir la route à l’idée de la révérence de la vie »… Sa priorité maintenant est de donner une forme définitive à son étude sur l’idée du royaume de Dieu et le Christianisme, « mon testament théologique et religieux »…

─ 25-27 juin.
De nouvelles publications sur lui ne pressent pas, et il « supplie » de ne pas publier ses écrits sur l’orgue, qui ont plus de 40 ans !

─ 16 août.
Sur le projet de Music and Albert Schweitzer... « je ne puis me lier à vous écrire quelque chose aussitôt, car je suis épuisé par le grand travail, dans lequel je suis pris, et par la tension d’esprit continuelle »…

─ 3 octobre.
« Pour Deutsche und Französische Orgelbaukunst je ne puis juger, si votre traduction comporte les expressions techniques en construction d’orgue. J’espère que vous aviez un musicien compétent qui vous a aidé »…

─ 18 octobre,
pour négocier des conditions favorables de reproduction de Deutsche und Französische Orgelbaukunst…

─ 22 avril 1958.
À la suite d’une l.a.s. en anglais de l’infirmière Ali SILVER, racontant les suites d’une chute de Schweitzer, il écrit en allemand ses regrets que son accident ait interrompu leur correspondance…

─ On joint :
• 9 copies carbones de lettres, dont une avec ajouts autogr., la plupart doublons de celles décrites ici.
Plus
• 2 l.a.s. et une l.s. de sa femme Hélène Schweitzer,
et
• 2 l.s. de leur fille Rhena, au même.
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