Lot n° 8

PROUST (Marcel) — LETTRE AUTOGRAPHE signée «Marcel». — S.l., [date de réception du 25 mars 1904]. — 4 pp. in-8, liseré de deuil ; apostille autographe du destinataire, «25 mar. 04, re[çu], rép[ondu]».

Estimation : - 800 - 1 000 €
Adjudication : 4 500 €
Description
«Il paraît que vous avez dit à Paris que certaines personnes (!) disaient que je "flirtais" avec Louisa...»

«Mon petit Albu, je continue les tombeaux [Marcel Proust et ses amis appelaient «tombeau» un secret devant demeurer inviolable jusqu'à la mort], celui-là je n'ai pas pu le dire devant Louisa.
Il paraît que vous avez dit à Paris que certaines personnes (!) disaient que je "flirtais" avec Louisa (et ce n'est pas le verbe que vous auriez employé). Qu'est-ce que c'est encore que ça ? Vous avez voulu faire une plaisanterie mais je vous avoue qu'elle m'est infiniment désagréable et multiplie les avantages qu'il y aurait à nous brouiller.
Quant à ce que vous m'avez dit hier à propos de Bertrand [de Fénelon]: "ne le voyez pas et il vous reviendra".
C'est absurde. Si je souhaitais que Bertrand "me revienne", comme vous dites, si j'étais triste qu'il ne soit, dans une mesure sur laquelle je crois d'ailleurs que vous vous méprenez (pas dans le sens que vous croyez), alors je n'aurais pu avoir pour vous l'amitié que j'ai eue, que j'ai, puisque c'est vous qui êtes la seule cause de ce changement (qu'il nierait mais qui est réel) dans ses sentiments. Loin d'avoir pour vous de l'amitié, j'aurais contre vous une amère rancune.
Or est-ce là ce que je vous ai témoigné. Et ne vous ai-je pas au contraire témoigné toujours une amitié impuissante mais sincère ? - La question était toute différente. Je ne désire aucun rapprochement de coeur plus grand avec Bertrand ; mais peut-être, je n'en sais rien, aurais-je envie de le voir très souvent pendant son séjour. Et je disais seulement que je craignais que les complications Bibesco n'empêchent Bertrand de me voir. Or si je désire le voir, cela me contrariera. Et si cela doit avoir pour conséquence "qu'il me revienne", cela ne sera nullement une compensation puisque je ne le désire pas.
Je ne me rappelle plus si en dernier lieu nous avons décidé*** que vous viendrez ou non me voir ce soir. Ne me répondez pas mais dites à la concierge de la rue Edmond Valentin [où habite Louisa de Mornand], "je viendrai", ou "je ne viendrai pas", ou "je viendrai peut-être", et vers quelle heure. Je lui téléphonerai et serai ainsi renseigné sur vos projets que je désire conformes à ce qui est le plus commode, n'ayant rien à vous dire qu'à vous répéter, ce que je peux tout aussi bien faire dans cette lettre, que je vous aime beaucoup...
Inutile de vous dire que je n'ai pas soufflé mot à Paris de ce qu'il a dit de [Reynaldo] Hahn.
Excusez-moi pour un petit mot dont la sécheresse vous a déplu. Je me dépêchais follement pour que vous l'ayez à temps. Le coiffeur était là. J'étais énervé comme lui et Marie pourront vous le confirmer.
C'est bien la peine que je dise à Louisa "Mademoiselle" quand il y a q[uel]q[u']un comme R[obert] de Rothschild si vous dites des choses comme cela.»
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