Lot n° 24

PROUST (Marcel) — 4 LETTRES AUTOGRAPHES signées «Marcel». — Février 1905. — • 1. 4 pp. in-8, liseré de deuil ; date de réception au composteur ; un caviardage à l'encre ; fente à deux pliures avec un petit manque, petites traces de...

Estimation : - 2 000 - 3 000 €
Adjudication : 3 000 €
Description
rouille. • 2. 6 pp. 1/4 in-8, liseré de deuil ; apostille autographe du destinataire en 2 endroits datant la réception ; 2 pliures avec fente dont une longue, petits manques angulaires. • 3. 2 pp. in-8 oblong ; apostille autographe du destinataire, «10 fév. 05, rép[ondu]» ; caviardage à l'encre d'environ 2 lignes, papier un peu froissé avec petite déchirure marginale. • 4. 3 pp. 1/4 in-8 ; date de réception au composteur, apostille autographe du destinataire, «rép[ondu]» ; une tache d'encre, petites traces de rouille.
«C'est bien ennuyeux que nous ne puissions pas fonder un cercle avec Guiche, Loche [Radziwill], Gabriel [de La Rochefoucauld], etc.
Ce serait le seul où j'aurais des chances d'être reçu...»

Snobisme de Marcel Proust. Avide d'observer le grand monde, il tenta de présenter sa candidature successivement à deux clubs masculins mondains parisiens, en s'appuyant sur Louis d'Albufera, d'abord au Cercle de la rue Royale, puis au Cercle de l'Union. Malgré des combinaisons savantes et complexes pour s'assurer appuis et parrainages, il abandonna ses ambitions concernant la rue Royale, et vit sa candidature refusée par le Cercle de l'Union le 1er mars 1905. «Proust peut à cette occasion constater que les relations mondaines sur lesquelles il croyait pouvoir compter ne sont... que des relations mondaines, et qu'il ne fait pas partie du "monde", malgré tout son désir d'y être intégré. Ainsi s'explique plus clairement son "adieu à la vie mondaine" du mois de mars 1905» (Françoise Leriche, «14 lettres inédties, p. 27»).

• 1. - S.l., [date de réception du 8 février 1905]: «Mon cher Louis, ce que tu me dis pour Escudier m'ennuie, bien que cela soit sans aucune importance. Il était convenu qu'elle devait venir me voir ce soir et puis elle m'a lâché, par discrétion, dit-elle, discrétion si elle est vraie qui m'a bien ennuyé car je m'étais levé exprès pour cela et maman s'était couchée pour me laisser libre plus longtemps. - Pour la voiture, je te remercie de tout coeur de ton attention exquise, mais je ne suis pas invité au mariage de Gabriel [de La Rochefoucauld] qui aura lieu devant la famille seulement, dit-on. Je me figure que plus d'un ami sera peut-être admis à s'y joindre et que sans beaucoup d'intrigue j'aurais pu être du nombre. Mais je t'avoue que ce serait une si g[ran]de fatigue que j'aime mieux laisser les choses dans le statu quo.
J'ai reçu ce soir du fiancé un objet de Lenoir [bijouterie de la rue Royale à Paris] très gentil (boîte d'allumettes avec turquoise). Malgré cela nous sommes un peu en froid. Cela t'amusera quand je te dirai pourquoi... Du reste, j'ai tort de dire en froid. C'est une simple nuance et je te prie de ne pas lui en souffler mot. Il le nierait et de très bonne foi. Et tu sais que je l'aime beaucoup, ton futur cousin... - Quant à l'Union, je ne te remercie pas. C'est une bonté trop grande pour que des paroles ne sonnent pas creux à côté de cela. Il me reste l'espoir de t'en remercier un jour, si l'occasion s'en présentait, par des actes, et en attendant à garder le silence. - J'ai les tuyaux les plus déplorables, c'est (me dit-on) une impossibilité matérielle, un terrible coup dans l'eau. Puisse-t-il au moins rester dans l'eau et ne pas nous retomber sur la figure...»

• 2. - S.l., [9 février 1905]: «Mon cher Louis, une phrase de ta lettre est pour moi la clef de tout: encore faut-il savoir dans quel sens on doit tourner ! La voici: "lui et [Albert] Vandal seraient le mieux. C'est le conseil Bassano" [Napoléon Maret, duc de Bassano, membre de plusieurs clubs, dont le Cercle de l'Union]. Si cela veut dire que M. de Forbin et M. Vandal sont les deux appuis les plus utiles à se procurer et que, eux favorables, M. de Bassano n'hésitera plus à me présenter, c'est très bien, d'autant plus que Vandal est certainement favorable, qu'il n'y a plus qu'à se concilier la faveur de M. de Forbin, ce qui est peut-être impossible, mais ce qu'on peut toujours essayer. Et j'essaierai aussitôt. - Mais si cela signifie que M. de Forbin et M. Vandal seraient les deux meilleurs parrains, alors, mon petit Louis, si tu n'y vois pas d'inconvénients (car enfin je ne veux pas agir ni cesser d'agir sans te conseiller dans une affaire qui est d'abord une création de ton cerveau, ensuite une oeuvre de ton admirable bonté pour moi), renonçons immédiatement à l'Union. Car d'abord de la part de M. de Bassano la plaisanterie est un peu forte de conseiller comme parrains M. de Forbin qui n'a plus jamais voulu présenter personne depuis l'échec Richelieu, qui même en principe, bien loin d'en être le promoteur, est défavorable à ma candidature, et que je ne connais ni d'Ève ni d'Adam.
Et en second lieu Vandal qui depuis qu'il est de l'Union n'a jamais voulu présenter personne tant il est réservé et qui n'irait pas choisir pour ses débuts un client aussi hasardeux que moi, qu'il connaît d'ailleurs à peine, cela seulement parce qu'il a lu avec intérêt La B ible d'Amiens [ouvrage de John Ruskin dont Marcel Proust publia sa propre traduction en 1904]. Ce qui me décidait à l'Union était ta gentillesse de m'y faire présenter, mais si M. de Bassano ne peut être qu'un appui, et s'il me fait chercher des parrains moi-même, j'avoue que c'est trop compliqué et qu'il vaut mieux y renoncer. Si au contraire, Forbin, adouci par q[uel]q[ue] manoeuvre savante, te crois que M. de Bassano me présente, alors j'essaye de lui faire parler...
Au moment où je viens de t'écrire, je réfléchis qu'il y a une matinée Vaufreland vendredi, que si donc je voulais que madame de Chevigné [son amie Laure de Sade, comtesse de Chevigné, un des modèles de la duchesse de Guermantes dans la Recherche] y parlât à M. de Forbin, il n'y aurait pas de temps à perdre pour lui exposer le cas... Je vais lui écrire... D'ailleurs, j'ignore absolument si elle connaît bien M. de Forbin. Ma supposition est venue de ce qu'un M. de Chevigné a épousé Mlle de Forbin, mais ce Chevigné est-il un frère du nôtre, et n'est-il pas brouillé avec lui ? J'ignore absolument tout cela. Je me figure en tous cas que ce n'est guères le même monde...
C'est bien ennuyeux que nous ne puissions pas fonder un cercle avec Guiche, Loche, Gabriel, etc. [le duc de Guiche Armand de Gramont, Léon Radziwill dit Loche, et Gabriel de La Rochefoucauld]. Ce serait le seul où j'aurais des chances d'être reçu.»

• 3. - S.l., [date de réception du 10 février 1905]: «Mon cher Louis, je suis de nouveau pas à mon aise et ne pourrai sortir ce soir. Je le regrette beaucoup, car j'aime tant te voir et on ne se voit plus jamais.
Si j'avais été hier je serais passé chez Mr d'Eyrargues [Charles de Bionneau, marquis d'Eyrargues] puisque ta visite à M. de Forbin d'après ce que tu me dis ferait l'effet contraire et que M. d'Eyrargues, lui, n'est pas un membre jeune du Cercle. Je vais peut-être lui écrire, mais peut-être non. Car je te le répète, il n'y aurait de chance qu'avec 2 bons parrains se donnant de la peine. Or M. de Bassano (c'est là une des moindres contradictions de ce qu'il te dit) trouve qu'il ne me connaît pas assez pour me patronner et propose de me faire patronner par M. de Forbin qui ne me connaît pas davantage et de plus est hostile au principe. - Notre seul espoir est désormais ton beau-frère [probablement le prince Eugène Murat, membre de plusieurs clubs dont le Cercle de la rue Royale]. Je vais voir s'il y a intérêt à faire q[uel]q[ue] chose côté Eyrargues mais que cela ne te retarde pas car je considère tout cela comme des coups d'épée dans l'eau et de plus Eyrargues c'est Lucien et Lucien c'est beaucoup de gens. Si j'étais sûr que cela fasse q[uel]q[ue] chose... Tout à toi...»

• 4. - S.l., [date de réception du 18 février 1905]: «Mon cher Louis, tu es bien bon et je te remercie de tout mon coeur. Si je n'approuve qu'à demi ta lettre trop gentille pour moi, c'est que toutes ces démarches ne sont pas t[ou]t à f[ai]t conformes à ce que nous avions dit il y a 15 jours. Mais je sais bien c'est plus facile sur le papier qu'en action. En tous cas, je crois qu'aussi bien pour toi qui dois en avoir par-dessus la tête que pour moi qui (toute indécision mise de côté) ne voudrais pas non plus y mettre de l'entêtement, que pour tout le monde qui finira par le savoir, il serait grand temps de nous résigner si tu vois que l'Union est trop difficile, et ton beau-frère récalcitrant, à renoncer à tout cela. Je t'assure que cela ne sera plus une déception pour moi. Il ne me restera que le regret de t'avoir ainsi ennuyé pour rien. Si tu parles à ton beau-frère, il est essentiel de lui demander le secret, car j'avoue que cela m'ennuierait, s'il refuse de me présenter, que Schlumberger le sache [l'historien de Byzance Gustave Schlumberger, membre du Cercle de l'Union et de l'Union artistique, antisémite notoire]. Mais surtout ne lui dis pas: "N'en parle pas à Schlumberger". Car dans l'hypothèse probable où il lui répétera le tout, je ne voudrais surtout pas que Schlumberger sache que cela m'ennuie qu'il soit au courant de ces petits déboires (qui n'en sont pas s'ils ne sont pas sus de mes ennemis).
Tu es bien bon d'avoir pensé à moi pour le Vaudeville mais je dîne lundi chez les Guiche [allusion à Louisa de Mornand qui allait jouer un petit rôle dans la comédie Le Bon numéro de Barde et Du Quesne au théâtre du Vaudeville, et mention du duc de Guiche, Armand de Gramont et de son épouse]. Excuse-moi de cette lettre décousue mais je suis mort de fatigue et de malaise. Rendstoi compte à travers ces phrases mal faites, de l'ennui que j'ai de t'avoir fait prendre inutilement tant de peine. Tout à toi... Tu sais que j'ai été averti seulement hier soir à 9 h. que la [premiè]re était ce soir. Aussi Dieu sait si mes lettres arriveront. Et encore sans savoir à qui écrire, si ce sont les critiques... qui viendront. Mais enfin j'ai envoyé des voitures dans tout Paris et je crois que ce sera à temps...
Tout en souhaitant maintenant par-dessus tout la fin [de] tes peines et ta tranquillité, si vraiment tu dois voir M. de Bassano, tu peux, comme cela ne coûte rien, lui dire par ex. ton intimité avec le général..., lui disant par exemple, "je me figure qu'il accepterait d'être parrain si vous l'étiez." Mais, je te le répète, surtout ne te donne plus de tracas et finissons-en et tâche de ne pas m'en vouloir de t'avoir donné ces ennuis. Combien de temps faudra-t-il pour que tu ne m'en veuilles plus.»
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