Lot n° 56

MORNAND (Louisa de) — CORRESPONDANCE d'environ 100 lettres, presque toutes autographes signées, et d'environ 60 télégrammes, adressée à Louis Suchet d'Albufera. 1900-1910 et s.d. — ─ Joint, une vingtaine de pièces manuscrites adressées...

Estimation : - 2 000 - 3 000 €
Adjudication : 11 000 €
Description
au même (1901-1907).
Les amours de Rachel et Saint-Loup

Importante correspondance, en quasi-totalité inédite, qui documente les amours de Louisa de Mornand et de Louis d'Albufera, et dans laquelle Proust est fréquemment mentionné.

─ Paris, «vendredi 1 heure», date de réception du 21 décembre 1900 à l'encre: «Mon cher Louis...
Crois moi, j'ai été désolé[e] hier soir de n'avoir pu passer la soirée avec toi, mais comme je reçois toujours un mot de toi vers 2 heures et qu'hier je n'ai rien reçu, j'ai pensé que tu m'oubliais pour un jour et j'ai accepté l'invitation de Marcel... Hâte-toi de trouver un endroit où nous puissions nous aimer vraiment. (Jon reviens demain soir à 7 heures.)»
Louisa de Mornand vivait alors à Paris avec un riche Américain, John Howard Johnston, dont elle avait eu un enfant. Il est délicat de se déterminer sur l'identité de ce Marcel en 1900, aucune lettre de l'écrivain à Louisa de Mornand ou à Louis d'Albufera n'étant attestée avant janvier 1903.
─ S.l.n.d.: «Mon Louis, je suis très peinée, car tu es parti fâché... Je t'aime plus que tout au monde, tu le sais, et je ne veux pas te tromper, ni ne l'ai fait depuis que nous sommes tout à fait ensemble. Si je t'ai déplu en embrassant cette sale femme, je reconnais que j'ai eu tort, en te promettant de ne plus recommencer. Je l'ai fait sans goût, mais dans un moment d'excitation, dont je me repends moi-même.
Sois donc sans crainte, mon aimé et bien sûr de ta Louisa. Je ne voudrais pour rien au monde manque[r] à la parole que je t'ai donné[e] de n'appartenir qu'à toi seule toujours tant que nous pourrons être ensemble...»
─ [Paris], 12 octobre 1903: «... J'ai trouvé l'autre soir en rentrant de chez Marguerite un télégramme de Proust me disant qu'il arrivait et serait à 11 h. chez Larue. À quoi j'ai répondu le lendemain matin télégraphiquement que, rentré[e] seulement chez moi à minuit, je regrettais, et que tu étais à Montgo. [le château de Montgobert, appartenant aux Suchet d'Albufera et situé entre Soissons et Villers-Cotterêts dans l'Aisne]. Il m'a répondu un gentil mot ce matin me disant qu'il était souffrant. Tu ne peux croire comme je t'attends avec amour, reviens vite, voilà déjà 6 jours que tu es absent, je ne peux plus attendre, je t'aime avec toute la force d'un petit coeur bien tendre, et, mon gros
Louis, tu es plus que tout pour moi, tout ton être et ta personne chérie me tient d'une passion et d'une tendresse folle. Crois moi ; aime moi bien et reviens vite. Mille millions de bons et amoureux baisers de ta Lou...»
─ Paris, 13 octobre 1903: «Mon cher Louis, quel vilain temps il fait à Paris... Je compte bien que tu vas m'arriver aujourd'hui et que tu ne recevras pas cette lettre ; ce que je préfère. Du reste, je n'ai plus le sou, j'ai dépensé les deux cent francs que tu m'as laissé[s] ainsi que deux cent francs empruntés à maman, et elle en a besoin mercredi pour régler son loyer. Tu verras comme mon petit nid est en ordre et propre. J'ai fait nettoye[r] mon boudoir et j'ai tout recousu moi-même avec maman. Je suis sûre que tu seras content, et puis j'ai une plante dans ma salle à manger, tout est très joli, aussi le temps me dure que tu reviennes pour trouver ton petit chez toi comme tu le désires... Si tu n'es pas parti et que tu reçois cette lettre, viens sans faute demain dans la journée, je t'assure que j'ai besoin de mon petit homme, j'en veux, j'en demande ; ce que ça va être bon !... Télégraphie l'heure du train, je serais à la gare. À bientôt, mon aimé, à toi toute ma bouche et mon corps. Ta Louisa.»
─ Paris, 7 novembre 1903: «Mon cher Louis... Marcel a fait téléphoner hier soir à ton nom de le trouver à minuit. J'ai répondu que tu étais à la campagne...»
─ Paris, 11 novembre 1903: «... J'attends toujours le mot de Bernstein qui ne vient pas, j'ai travaillé aujourd'hui chez Mme Favart et je suis très contente. Je n'ai pas encore commandé [la] fourrure et je crois du reste que je ne l'achèterais pas ce mois-ci. Rien de nouveau à te dire, hier soir nous sommes allé chez Sarah, la pièce m'a beaucoup plu et c'est surtout très bien joué. Au revoir, mon Louis chéri, as-tu des nouvelles de Marcel ? Moi je n'en ai pas du tout. Tu sais mon amour, je te le redis encore bien tendrement. Ta Lou...»
─ [Paris], date de réception du 8 décembre 1903 au composteur: «... Je travaille beaucoup, car Mme Favart m'a parlé, quand je serais avancé[e] de demander une audition chez Antoine, peux-tu écrire à Marcel qu'il vienne un de ces jours me voir, je voudrais lui demander si il a des acquointances de ce côté-là. Je serai[s] si contente d'y entrer...»
─ Paris, date de réception du 5 mars 1904 de la main du destinataire: «Louis, les choses en sont en un tel point que je ne vois obligé[e] sérieusement de ne pas te cacher que je ne peux plus vivre ainsi.
Ton affreux caractère m'est devenu odieux, ta manière d'être avec moi est insensée tellement elle est désagréable et maladroite. Enfin, une dernière fois, prouve-moi que tu veux changer et me reprendre.
Viens de suite au Français, ton billet sera au contrôle à ton nom. Sinon, je reprends ma liberté: si tu ne viens pas, cela voudra dire que tu en as également assez.»
─ S.l., «le 6 7bre», date de réception du 8 septembre 1904 de la main du destinataire: «... Mes répétitions ne me fatiguent pas beaucoup, étant donné que je ne suis que d'un acte et du 1er. Mais le temps me dure quand même de jouer. Est-ce que Marcel est parti avec toi finalement ? Je n'ai pas de ses nouvelles. Je lui a cependant écrit hier... Je pense à toi, mon Lou chéri, plus encore que tu ne crois, je vis à tes côtés toute la journée et ma pensée cherche toujours à t'associer à ce que tu fais à l'heure présente. Je t'aime si fort et si bien !... Zaza...»
─ S.l., «8 7bre», date de réception du 9 septembre 1904 de la main du destinataire: «... Je suis toujours sans nouvelles de Marcel. Je vais lui écrire. Nos répétitions avancent et nous comptons toujours passer le 15... Je lis, j'étudie beaucoup dans mes heures de repos. Je travaille pour l'avenir... Ta Zaza...»
─ S.l., «samedi» [10] septembre 1904, date de réception du 11 septembre 1904 de la main du destinataire: «... J'ai vu Marcel hier, il a été souffrant mais va mieux... Ta Zaza...»
─ S.l., «le mardi soir» [13] septembre 1904, date de réception du 15 septembre 1904 au composteur: «... Mon gros Lou, je suis très fatiguée ce soir. Toute la journée, je l'ai passée au théâtre, c'est jeudi la générale et vendredi la première... J'ai écrit à Reynaldo [Hahn] pour qu'il me recommande auprès des critiques, il ne m'a pas répondu. Le fera-t-il ?... Ta Zaza...»
- S.l., «10 novembre» [1904]: «... Notre première au Vaudeville a eu lieu hier soir ; la semaine qui l'a précédée a été bien fatiguante et aujourd'hui je pousse un ouf de soulagement. La pièce a eu beaucoup de succès, tout en étant très discutée. Moi, je n'ai là qu'un rôle très effacé et personnellement je ne comptais sur aucune félicitation, mais j'en ai eu plusieurs assez sincères, j'ai contenté auteur et directeur, je suis donc satisfaite... Zaza...»
- [Trouville], «mercredi» [5] juillet 1905, date de réception du 6 juillet 1905 au composteur: «... J'écrirai à Marcel cette semaine, le mariage de ta b[elle]-s[oeur] est vraiment de mauvaix choix, je connais beaucoup le monsieur de vue, il a la réputation d'un joli garçon, il la mérite peu, et c'est le vrai type du rasta italien. Celui de d'Humières [l'écrivain et traducteur Robert d'Humières] ne manquera pas d'étonner les méchantes langues qui l'accusaient de pédé... Mille tendres bécots, Zaza...»
- [Trouville], «17 juillet» 1905, date de réception du 18 juillet 1905 au composteur, répondant à la lettre de rupture de Louis d'Albufera: «L'horrible état dans lequel se trouve tout mon être, Louis, est impossible à décrire. À mesure que je lisais tes lignes qui condamnaient ma vie et que tout d'un coup j'ai appris, j'ai éclaté en sanglots. Un coup de poignard dans le coeur ne m'aura pas fait plus de mal. Mon Louis, je ne te pardonne pas de m'avoir caché si longtemps ce fait et écoute bien ceci. Mon amour en est mort subitement de ton manque de franchise pour une chose aussi grave pour moi et du fait lui-même, parce que quoique tu me promettes d'attachements et de tendresse, tout se portera là où ton sang parlera, c'est humain, c'est juste, c'est ce qui doit être. Ainsi, Louis, je viens te dire ces mots inspirés par une grande douleur mais justifiés par ce petit être qui ne t'a pas demandé à vivre que tu dois taire... Moi, j'ai passé à côté du bonheur... Louisa...»
- [Trouville], «le jeudi 27» [juillet 1905], date de réception du 28 juillet 1905 estampée au composteur: «Mon cher Louis, nous avons vécu hier de bien doux instants en sentant encore à nouveau comme nous étions unis malgré tout et que rien n'était assez fort pour nous séparer... Ta Zaza...»
- [Trouville], «le 6 août» [1905], date du de réception du 8 août 1905 de la main du destinataire: «... J'ai écrit à Marcel il y a trois ou quatre jours. Te l'a-t-il dit ? Ma lettre n'était pas longue ni très agréable à lire ; j'avais, à l'heure où je lui ai écrit, une crise de mélancolie très grande...»
Louis d'Albufera et son épouse Anna Massena d'Essling venaient d'avoir un enfant le 2 août.
Lettre publiée dans Marcel Proust, Correspondance, t. V, 1979, pp. 331-332, note n° 2.
- S.l., «le dimanche midi» [1er octobre 1905], date de réception du 2 octobre 1905 au composteur: «... Je n'ai pas encore écrit à Marcel, uniquement par discrétion, j'ai craint que cela ne fût un peu tôt. Je compte donc le faire aujourd'hui ou demain certainement... Ta Zaza...» Lettre publiée dans Marcel Proust, Correspondance, t. V, 1979, p. 353, note n° 2.
- S.l., «le lundi midi» [9 octobre 1905], date de réception du même jour estampée au composteur: «... Rien de nouveau de Marcel ni de nulle part...»
- [Paris], date du 13 juillet 1906 estampée au composteur: «Mon cher Louis, je t'écris de chez Marcel, p[ou]r te dire que je pars demain p[ou]r Trouville... Je te demanderai donc de venir à la maison le matin... nous aurons une heure à nous voir. À demain et mille tendresses. Lou»
- Paris, «le 15 7bre» [1906], date de réception du 16 septembre 1906 au composteur: «... Je te prie de me dire ce que t'a dit Marcel qui me touche. Je le veux car tu sais comme mon imagination travaille quand je ne sais pas... Talou...»
- Paris, «vendredi le 9 novembre» [1906], date de réception du 11 novembre 1906: «Mon Lou adoré et chéri, je ne te remercierai jamais assez des jolies fleurs dont tu as orné ma 1ère et des tendres mots qui les accompagnaient... J'aurai du mal à te citer les journaux qui ont parlé de moi, il n'y en a pas. Et vraiment ne trouves-tu pas cela honteux et sans dignité de la part d'un homme [Robert Gangnat] de laisser une femme, "sa maîtresse", hélas, au niveau de toutes les demoiselles de théâtre sans se donner la peine (et il n'aurait pas même à se donner de peine p[ou]r cela) de la faire distinguer de toutes par des notes dans les journaux qui me feraient le plus grand bien...»
- S.l., «le 9 février» [1907], date de réception du 11 février 1907 au composteur: «... Occupetoi p[ou]r le cadeau de Marcel p[ou]r moi autant que possible très vite. Maintenant, quant à ton cadeau, "la cantine", le prix est très bien et je te prie de commander de suite et de me donner la réponse à ce sujet très tôt, car il faut absolument que j'écrive à Marcel tout de suite et que je lui dise que c'est décidé... Je te chéris, de tout mon coeur, et t'adore avec toute mon âme. Ta Lou...» Lettre publiée dans Marcel Proust, Correspondance, t. VII, 1981, p. 96.
- Bruxelles, «le 11 janvier» [1909], date de réception du 12 janvier 1909 au composteur: «...
P[ou]r le cadeau de Marcel, voici: j'ai reçu une lettre de La G andara l'antiquaire [Édouard de La Gandara, frère du peintre], qui me dit m'avoir trouvé deux très jolies bergères anciennes, G[angnat] les a vues, ils paraient qu'elles sont très bien et pas cher du tout et que toutes deux, une fois retapée et regarnies, elles reviendraient à 5 ou 600 frs. Je voudrais donc bien que Marcel me fît ce cadeau-là, mais comment ferions n[ou]s pour la facture, il me semble que la chose suivante serait ce qu'il y a de mieux. C'est que Marcel écrive à La G andara..., qu'il lui dise qu'il m'a entendu parler de ces bergères qui me font envie, et comme il veut me faire un cadeau p[ou]r le jour de l'an, qu'il désire me faire celui-là, et que La Gandara n'a donc qu'à lui envoyer la facture chez lui. Je vais prévenir de cela La Gandara immédiatement et toi tu vas t'arranger p[ou]r dire tout ça à Marcel...
Ta reconnaissante et attachée petite Lou.»
─ Bruxelles, 27 janvier 1909: «Mon Lou très très chéri... je te remercie de ce que tu as fait p[ou]r
La Gandara, mais il faut prendre les deux bergères en question, car G[angnat] qui les a vues, dit qu'elles sont intéressantes. Je compte sur toi p[ou]r les faire acheter de la part de Marcel, mais ne dis pas ton nom à La Gandara, car il connaît beaucoup beaucoup de monde, et ça pourrait te créer des difficultés chez toi... Mille baisers de ta Lou»
Joint, 62 télégrammes à Marcel Proust, la quasi-totalité de Louisa de Mornand (un de Robert Gangnat), et une vingtaine de pièces manuscrites. Parmi celles-ci, 2 de Joseph Montaud, frère de Louisa, relatives à l'aide qu'il reçut de Louis d'Albufera, et 11 de Rose Montaud, la mère de Louisa, documentant notamment la rupture de l'été 1905.
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