Lot n° 220
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Sélection Bibliorare

Jean-Paul SARTRE (1905-1980). Manuscrit autographe pour le film Huis-clos, [vers 1953-1954] ; 71 pages in-4, dont une dizaine dactylographiées avec corrections (quelques fentes ou effrangeures réparées), plus 2 pages in-8.

Estimation : 15.000 / 20.000
Adjudication : 22 000 €
Description
Important manuscrit de travail inédit pour l’adaptation cinématographique de sa fameuse pièce Huis clos, créée au théâtre du Vieux-Colombier en mai 1944.{CR} Ce manuscrit a vraisemblablement servi à la conception du film réalisé en 1954 par Jacqueline Audry (1908-1977), dans une adaptation et avec des dialogues additionnels de son mari Pierre Laroche (1902-1962), avec, dans les principaux rôles, Arletty (Inès), Gaby Sylvia (Estelle, reprenant le rôle qu’elle avait créé en 1944), Frank Villard (Garcin), et Yves Deniaud (le Garçon), mais aussi, dans des rôles épisodiques, Nicole Courcel, Jean Debucourt, Jacques Duby, Paul Frankeur, Danièle Delorme, Giani Esposito, etc. Le film, avec une musique de Joseph Kosma, est sorti sur les écrans parisiens en décembre 1954.{CR} Un article de Catherine Valogne, avec une interview de Jacqueline Audry, indique : « S’il n’a pas aidé au travail de réalisation, Sartre l’a contrôlé et s’est montré satisfait du scénario. Lorsque Jacqueline Audry était venue lui parler de Huis clos, il voulait récrire son œuvre, la transformer complètement, mais elle a tenu bon » (Les Lettres françaises, 16 septembre 1954).{CR} « Le film suit la pièce de très près. Une séquence d’exposition, montrant l’arrivée dans le hall d’un palace kafkéen d’une fournée de “damnés”, a été ajoutée et les adaptateurs ont eu l’idée, au premier abord ingénieuse, de remplacer par une sorte d’écran la fenêtre de la chambre d’hôtel où sont enfermés les trois personnages qui, tour à tour, peuvent ainsi voir les scènes de leur vie passée et observer leurs proches tant que ceux-ci ne les ont pas oubliés. À la fin, la fenêtre se révèle murée » (Michel Contat et Michel Rybalka, Les Écrits de Sartre, p. 491). « Cette adaptation, qui semble avoir eu peu de succès, présente de réelles qualités. L’esprit satirique du texte est préservé : en enfer arrivent un prêtre, un souteneur, un général, un principal de collège… La chambre des damnés est pourvue d’une espèce de fenêtre-écran, où ils voient les scènes de leur vie passée, et qui, lorsque les vivants ont oublié les morts, devient un mur. Le groupe des amis de Garcin organise une sorte de procès posthume, et Gomez demande l’unanimité (qu’il obtient) dans la condamnation. Par ailleurs, dans le film, Florence n’est pas morte : elle a manqué son suicide, et son mari (qui lui aussi vit toujours) accepte son retour au foyer » (Jean-François Louette, in Jean-Paul Sartre, Théâtre complet, Bibl. de la Pléiade).{CR} Le présent manuscrit de travail montre que Sartre a rédigé lui-même une grande partie du scénario. Il se présente sous forme de script, en deux colonnes, avec les dialogues dans la colonne de droite, et à gauche les didascalies, les mouvements et cadrages de la caméra, le jeu des acteurs, etc. La première partie (jusqu’à la page 73 incluse) est écrite au dos de feuillets dactylographiés d’un script de film sur la vie de François d’Assise. Le début est très fragmentaire, mais la suite est quasiment complète. Les pages dactylographiées insérées dans le manuscrit, généralement avec corrections, sont des fragments du script, avec les séquences numérotées.{CR} Pages 8 et 8 bis, scène entre le général et Estelle, puis Estelle s’adressant à l’employé de la réception.{CR} Page 11, trois répliques pour une scène (coupée dans le film) entre Inès et un « gosse » qui brûlait des papillons.{CR} Estelle assiste à son enterrement en le commentant (p. 33-35 avec corrections, p. 34 d’une autre main), puis Inès voit Florence dans sa chambre et l’interpelle : « Tu n’es donc pas morte ? Tu t’es ratée ? C’est partie remise. Tu en seras quitte pour recommencer »… (p. 35-36), puis les femmes amènent Garcin devant la fenêtre (p. 37). Garcin voit sa femme (37 bis -ter dactyl. [séquence 114]). Scène entre Garcin, Inès et Estelle (38 par Sartre, et 39-40 dactyl. [séq. 123-131]). Estelle et son mari, leur première rencontre et leur vie commune [scène coupée] (41-42 dactyl., 43-45). Retour au salon, scène entre Estelle, Inès et Garcin ; Estelle se met du rouge à lèvres (46-54, dont 47-48 dactyl. [49 manque, séquences 145-148]). Procès de Garcin, Garcin et sa femme (55-60, et 61-62 dactyl. [séq. 149-154]). Inès raconte son histoire avec Florence, et la voit dans leur appartement ; le mari de Florence vient la chercher, rage d’Inès (63-67). Aveux d’Estelle (68-73 [71 manque]).{CR} Page 74 et la suite non paginées jusqu’à la fin (28 ff.). Estelle voit Olga emmener Pierre au dancing ; Olga raconte à Pierre l’infanticide d’Estelle… Inès tente de séduire Estelle, qui lui crache au visage. Estelle drague Garcin, jalousie d’Inès, violemment repoussée par Garcin. Inès voit Florence et son mari... Garcin voit la salle de rédaction de son journal, Gomez et ses amis journalistes le jugent comme un lâche et suppriment son nom de l’affiche. Estelle se serre contre Garcin. Garcin va vers le rideau : ils sont murés… Garcin veut s’enfuir, la porte s’ouvre ; Garcin revient et referme la porte. Estelle veut se faire embrasser par Garcin, ils s’enlacent ; vive réaction d’Inès, ainsi que d’une « foule indistincte »…{CR} Garcin : « Il ne fera donc jamais nuit ? […] Alors c’est ça, l’Enfer ? Je n’aurais jamais cru. Vous vous rappelez : le soufre, le bûcher, le gril… Ah ! Quelle plaisanterie. Pas besoin de gril, l’enfer c’est les Autres »… {CR}Estelle frappe Inès avec le coupe-papier :{CR} Inès (se débattant et riant){CR}Qu’est-ce que tu fais, tu es folle ? Tu sais bien que je suis morte.{CR}Elle prend le couteau des mains d’Estelle{CR}et s’en frappe avec rage.{CR}Morte ! Morte ! Morte ! Nous sommes ensemble pour toujours.{CR}Sur Estelle riant.{CR} Estelle{CR}Pour toujours ! Mon Dieu que c’est drôle ! Pour toujours.{CR}Garcin riant{CR} Garcin{CR}Pour toujours.{CR}Sur les trois riant.{CR}Long silence. Garcin s’éponge le front{CR}avec son mouchoir puis il va à elles.{CR} Garcin{CR}Eh bien, continuons.{CR}Chacun reprend sa place sur le canapé{CR}et c’est fini. »{CR} Deux pages de notes autographes préparant des scènes du film. La première concerne l’enterrement d’Estelle : « Elle marche : des fleurs, j’en ai eu. Elle s’avance vers le noir. De profil et un peu en arrière, l’appareil marche avec elle. Cadrer sur le visage d’Estelle »… Etc. L’autre concerne Garcin : « Un paysage vu d’avion ou d’une colline. On prend un petit groupe de tombes et une tombre. Écriteau : Garcin. Enchaîné sur l’immeuble avec les grandes affiches : Le Phare, organe de la Fraternité Universelle »… Etc.{CR} On joint une L.A.S. de Sartre à Jean-Bertrand Lefèvre-Pontalis, Vendredi (1 p. in-4, en-tête Les Temps modernes) : « Je suis tout à fait opposé à mettre la scène du rouge à lèvres avant. D’une manière générale vous pouvez changer les détails mais je ne signerai jamais un scenario qui ne suivrait pas rigoureusement l’ordre des scènes »… Plus 2 pages de critiques et remarques sur le scénario (par Pierre Laroche ?) ; et 2 photographies : Gaby Sylvia, Michel Vitold et Tania Balachova dans Huis clos en 1944 (studio Harcourt), et René-Jean Chauffard dans un film d’amateur.
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