Lot n° 44
Sélection Bibliorare

Louis Ferdinand CÉLINE (1894 1961)

Estimation : 2 000 - 2 500 EUR
Adjudication : 2 100 €
Description
Ensemble de 3 L.A.S.
«LFCéline» à ses «chers amis» [Descaves]. Copenhague, 15 mai [1948], «7 juillet» et sans date. 6 pp. in-folio.
- «Le Maître est fêté pour son courage et son incomparable talent. Tout cela est dans l'ordre. On ne retrouvera pas demain une plume comme la sienne. Je voudrais pouvoir l'écrire dans la presse française, moi qui n'écris jamais dans les journaux, je me lancerai avec joie ! Hélas !
Quelle tourmente aussitôt ! Quelle tornade de rage ! Naud mon avocat s'est rendu au parquet pour mon compte, il n'a rien trouvé de plus à mon dossier que ce que l'on reproche à Montherlant, à La Varende, à Giono, à cent autres qui ne s'en portent pas plus mal. Je suis vraiment l'objet d'un traitement de choix. D'une haine fignolée. Et je ne vois guère les choses s'arranger. Trop de gens se sont fait des situations dans la répression. Et Dieu sait si en France on s'accroche aux «situââtions». Il faudra attendre au moins 10 ans comme les Communards. La France n'a pas beaucoup de coeur. C'est une race «légère et dure» disait Voltaire. Sauf exceptions [...]. Vous parlez de l'été comme s'il était déjà fini... La rentrée en ville. On en pleure d'y penser nous qui sommes sortis du monde habitable, dont chaque heure est une angoisse, qui ne devons voir personne, parler à personne, n'être reconnu de personne. Les saisons pour nous n'ont plus de sens. C'est la haine notre saison».
- «De notre côté une légère amélioration au point de vue légale grâce à la visite que Mikkelsen a faite à Paris à Naud et à d'autres amis. La
Butte a donné à fond ! s'est donné à fond en ma faveur. L'impression a été admirable ! Je ne suis plus le damné total, la pourriture absolue.
On commence à se rendre compte que l'on m'a bien martyrisé injustement alors que tant d'autres... s'en tirent glorieusement et fructueusement. Lucette heureusement a repris forme et santé. Je ne suis pas brillant. Je traîne. J'ai refait de la pellagre et une crise de rhumatisme abominable en dépit de la chaleur. La cellule, les hivers en cellule m'ont crevé. Je n'ai pas tenu la réclusion. J'ai des faiblesses, je perds connaissance pour un oui, un non. Enfin on me promet un régime moins tracassier, bien amélioré. Il n'est malheureusement pas question de rentrer en France, et je souffre beaucoup de l'exil. De plus, on m'a enlevé tous mes pauvres moyens d'existence, médecine, livres...
alors que Montherlant, Chadourne, Claudel, Romains... Je crains que l'Humanité ne revienne en France qu'avec la bombe atomique. Alors quelles réconciliations, quelles pleurnicheries ! Le maître nous préparet- il autre chose ? un livre ? une pièce ? Je me suis malgré tout remis au labeur mais on m'a brulé Guignol's Band II ! Je suis sur Féérie pour une autre fois, premier chapitre, le bombardement de Montmartre.
Fait par les Français ! Je le ferai paraître en Suisse et en Amérique.
Qu'ils se gorgent d'Aragon, de Cassou, et de Triolet, et de traductions de Miller sous-Céline ! puisque c'est leur goût ! La France ne mérite pas ses écrivains. Son âme déambule jamais entre Félix Potin et la Samaritaine.»
- «Hélas on désespère de rentrer jamais... Tant d'années déjà ! et ce rabâchage de haine. Si j'avais été aussi méchant moi et hargneux !...
Enfin on va laisser ses os ici je le crains... mais ce serait le bagne en France... alors ? Les Communards avaient des partisans mais les gens de notre espèce sont en haine absolue au monde entier et pour toujours.
Heureux Vallès qui pouvait gagner sa vie à Londres ! Il y a bien des étages dans la damnation ! Nous sommes à présent à la campagne en cahutte. Nous ne pouvions plus tenir en ville (les ressources !). Ah je pense souvent à la rue de la Santé, aux heures admirables passées là [...]. L'été s'est décidé finalement. De Gaulle va peut-être passer le Rubicon en avion comme il est parti à Londres ! Il fera peut-être une amnistie par micro comme il a organisé une St Barthélemy si grandiose !»
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