Lot n° 184
Sélection Bibliorare

PICASSO.- CÉSAIRE (Aimé) — Corps perdu. — Paris, Éditions Fragrance, 1950. — In-folio (39,1 x 28,2 cm), en feuilles, couverture rempliée illustrée, chemise recouverte de papier vergé orange sur les plats et de parchemin imprimé sur le...

Estimation : 40000 - 60000
Adjudication : 96 200 €
Description
dos, étui.
Édition originale.

Ornée de 32 gravures originales de Pablo Picasso : une eau-forte sur la couverture, une eau-forte et pointe sèche hors texte pour le frontispice, 10 aquatintes à pleine page illustrant chacune un sous-titre et 20 gravures à la pointe sèche hors texte.

Corps perdu est tiré à 219 exemplaires, signés par l'auteur et l'artiste.

L'un des 4 exemplaires du tirage de tête sur papier du Japon nacré, le numéro 1, comprenant une suite des figures sur papier de Chine.
Elle est accompagnée d'un feuillet manuscrit signé de Picasso au crayon bleu.
Certaines planches sont d'un autre état que dans l'ouvrage, notamment le frontispice.

♦ Précieux exemplaire enrichi de 3 feuilles de dessins préparatoires originaux, signés de Picasso et offerts à Félia Léal, éditrice de l'ouvrage.

Ces trois esquisses au crayon de couleur bleu représentent des fleurs aux pétales, aux feuillages et aux pistils variées, dans le style graphique, décoratif et audacieux typique de l'artiste.

L'exemplaire est également enrichi de 9 bons à tirer, dont un pour le frontispice.
Il est également enrichi du feuillet "Dit d'errance" en double.

Aimé Césaire et Pablo Picasso, tous deux membres du Parti communiste, font connaissance en 1948 à Wroclaw, en Pologne, lors du Congrès Mondial des intellectuels pour la paix. L'année suivante, Aimé Césaire écrit les dix poèmes qui constituent le recueil Corps perdu et Picasso, sensible au besoin d'émancipation des peuples africains et antillais, en imagine l'illustration. Le peintre s'approprie la poésie de Césaire, dont les mots servent de catalyseur à sa création.

En frontispice du recueil figure le portrait d'Aimé Césaire, de profil, la tête ceinte d'une couronne de lauriers. L'image hellénistique du Poeta laureatus est un hommage à la fascination de Césaire pour la culture grecque antique. De par sa facture, le frontispice se démarque du reste de l'illustration. Les hachures serrées à la pointe-sèche, rehaussées d'une légère aquatinte, créent un relief et confèrent beauté et majesté au poète.

Le recueil est subdivisé par dix intertitres, chacun annonçant l'un des dix poèmes. Picasso choisit d'élaborer ces intertitres à l'aquatinte. Les gravures de Picasso entourent et enveloppent les titres imprimés des poèmes.

Picasso laisse libre cours à son imagination pour illustrer les poèmes de Césaire. Il réalise 20 gravures à la pointe-sèche et trace des formes aux lignes courbes : feuilles et fleurs, organes génitaux, figures fantastiques. Le trait est stylisé, la représentation graphique, épurée. Les images évoquent les mythes fondateurs et l'art nègre qui a tant inspiré l'artiste.

" Les poèmes sont le don d'une identité pour l'avènement d'un peuple, Césaire descend au gré de son lyrisme incisif la lente dérive langagière et géographique d'une migration. La quête de soi est la diction de la seule origine, tout le passé entrant dans l'élégie, dans l'épopée intime d'être cette saison, cet homme, ce paysage, cette race, ce soleil. […] La précision du poème, son ampleur comme ses farouches ellipses, Césaire n'accable ni monde ni langue, il les comble d'intentions, il savoure chaque prise et le risque des désinences. Tout à côté, fraternellement, Picasso intervient. En frontispice le portrait du poète couronné du mythique laurier, négritude quasiment romaine, l'hymne est à venir. Picasso fait ici appel à l'eau-forte et à la pointe-sèche. Tête mélodieuse de l'arbre, poussée éponyme de la statuaire. Et le rythme du livre se donne de soi : chaque long poème voit son titre, la blancheur de cette page inaugurale, se noircir (plus ou moins) sous l'assaut de l'aquatinte à la morsure voluptueuse, le corps du poème étant scandé de pages à l'eau-forte suggérant un végétal, une humanité, un objet, le rêve d'un ciel, toute figure dressée dans sa géométrie gracile, à coup de stylisation aigüe. Et l'alternance se reconduit de poème en poème, Picasso aux côtés de Césaire module un canto, il fait sien ce destin secoué qui d'un seul mouvement de la main peut abattre, l'un après l'autre, les soleils.

Ce livre, malgré son ambition (son format comme son épaisseur), reste avant tout très touchant, c'est la vie, dans sa pâte unique et unanime, qui a été levée, bonne cuisson du jour pour une belle âme " (Peyré).

" C'est la rencontre du volcan et du minotaure. Picasso plonge dans l'univers poétique de Césaire, tout à la fois luxuriant et débridé, pour lui offrir quelques fétiches immémoriaux. En écho à l'intolérable condition imposée au Noir, mi-homme, mi-bête, que décrit le poète, le peintre imagine des hybridations explosives de sève, femmes-fleurs, hommes-plantes, sexes-racines…

En 1950, Corps perdu paraît en édition de luxe à tirage limité, réservée depuis plus de soixante ans aux seuls bibliophiles ; cet ouvrage est une occasion unique de redécouvrir la poésie de Césaire illustrée par Picasso " (Egger).

─ Bibliographie :
- Monod, 2461. Yves Peyré, Peinture et poésie. Le dialogue par le livre, 2001, p. 148-149. Anne Egger, Corps perdu, Histoire d'une rencontre, 2011.

Étui légèrement frotté, dos de la couverture un peu frotté, quelques petites piqûres aux épreuves ayant servies de BAT.
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