Lot n° 319
Sélection Bibliorare

Marcel PROUST. L.A.S. et poème autographe signé, [26 et 28 octobre 1888], à Raoul Versini ; 4 pages in-8 sur papier quadrillé et 4 pages in-8, avec enveloppe étiquetée « M. Proust – le 26 et le 28 8bre 1888 », le tout monté sur onglets...

Estimation : 8 000  -  10 000 
Adjudication : 19 200 €
Description
dans un vol. demi-maroquin vert à coins avec filets dorés, étui (A. Devauchelle)..
Ensemble exceptionnel adressé à un ami et condisciple au lycée Condorcet : confession d’une expérience homosexuelle, et poème de jeunesse. [Raoul Versini (1870-1940), agrégé de lettres, fit une carrière d’enseignant, et rédigea quelques manuels scolaires.]
« Oh mon bon Raoul tu es trop gentil et je ne mérite ni ta tristesse si affectueuse ni tes scrupules exagérés. Non que je me croie descendu très bas. Ce que j’ai fait (je pense bien te parler avec franchise, aussi bien je n’en ai jamais manqué avec toi, n’est-ce pas ?) n’est pas l’extrême point d’un long abaissement moral. J’ai la conscience d’être le même qu’avant. D’ailleurs si dans un moment de surprise et de folie, supplié par ce garçon, je me suis rendu ; quand j’ai cru qu’il était temps encore j’ai eu des remords, je les lui ai dit, je l’ai prié. Mais il est plus fort que moi et je n’ai pas pu l’arrêter. Tu sais que je ne suis coupable qu’à demi. […] Je ne suis pas du tout un être idéal comme tu as l’air de le croire. Je suis pétri d’autant, hélas ! et même peut-être de plus de nerfs et de sens que d’autres. J’ai pu consentir (je ne l’ai pas faite de mon plein gré, mais j’ai consenti avant, ce qui était tout : je suis franc, tu vois) à une très grande saleté. J’ose dire pourtant que je ne suis pas du tout vicieux. […] J’avais été coupable : une heure après Abel [Desjardins] le savait, le soir même, mon père. Il est triste d’en être réduit à faire ainsi son apologie. Mais je voudrais pourtant te montrer que je ne suis pas tout à fait indigne de ta pure et sincère affection, que je te rends bien. Je ne veux pas que tu aies peur de me chagriner, je veux que tes paroles soient l’expression de ton sentiment.
Mais que ce sentiment me soit clément. Mon bon Raoul merci de ta tendresse et de ta franchise. Tout le temps, je te jure, loin d’en être fâché, je t’en ai été infiniment reconnaissant. Ne sois pas plus sévère que mon père qui ne m’a pas fait de reproches et qui, connaissant mon tempérament, sans connaître même ces atténuations que je t’ai dites, n’a considéré ma faute que comme une “surprise” (sens 19ème siècle) que m’auraient faite mes sens. Un seul mot dans ta lettre m’a choqué. C’est quand tu dis que ma faute est un effet de ma “bonté”. Alors il faudrait mettre bêtise »… Et de terminer par le vœu qu’ils continuent de cultiver la sincérité, forme très belle de l’amitié. « Pardonne-moi le décousu et l’ortographe de cette lettre qui est écrite au galop insensé de mes regrets et de mon cœur »…
Le poème, de 10 vers, est dédié « À mon cher Raoul Versini » :
« Les souffles flottant dans les bois en fleurs
Abordent au feuillage étincelant ;
Luisent les glaïeuls aux ruisseaux en pleurs ;
Au ciel bleu foncé nage un nuage blanc. […]
Des baisers pâmés aspirent la peau
Sous les branches ».
En regard et au verso des derniers vers figurent quelques notes : « Credo sur lequel il faut que nous nous entendions », et listes de « gds écrivains français du 19ème siècle », prosateurs (Michelet, Balzac, Musset, Baudelaire, Flaubert, Châteaubriand, Renan, France) et poètes (Baudelaire, Leconte de Lisle, Hugo, Lamartine, Musset, Verlaine), et de « gds artistes » (Mounet-Sully et Sarah Bernhardt).
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