Lot n° 395
Sélection Bibliorare

Jacques LACAN (1901-1981) psychiatre et psychanalyste. Manuscrit autographe, [Le Séminaire sur “La Lettre volée”, 1955-1956] ; 86 feuillets in-4 écrits au recto (légères mouillures en haut de quelques feuillets)..Manuscrit de travail...

Estimation : 7 000  -  8 000 
Adjudication : 10 880 €
Description
complet du célèbre Séminaire sur “La Lettre volée”, prononcé le 26 avril 1955, et rédigé en mai-août 1956 ; cette étude fut publiée en 1957 dans la revue La Psychanalyse (n° 2, pp. 1-44), précédée d’une Introduction, puis placée en tête de ses Écrits (1966).
Dans ce fameux séminaire, Lacan s’appuie sur la nouvelle d’Edgar Allan Poe, La Lettre volée (The Purloined Letter), la rattachant à la « découverte inaugurale » de Freud sur la mémoire et l’inconscient, pour éclairer la notion de signifiant dans le symbole. Il compare les deux vols de la lettre en montrant que le deuxième comporte les trois rôles caractérisant le premier, mais tenus par des personnages différents.
Le manuscrit, à l’encre noire ou bleu nuit, au recto de 86 feuillets (paginés 1-72 plus 4 bis, 15 bis, 24 bis, 30 double, 41 bis, 44 bis, 46 double, 49 double, 51 double, 59 double, 66 double, bis et ter, 70 double), présente de très nombreuses et importantes ratures et corrections, des passages biffés, des additions interlinéaires, marginales ou sur des feuillets ajoutés (nommés bis ou « double ») ; il a servi pour la dactylographie, comme l’indiquent quelques déchiffrements au crayon ou marques au crayon rouge de la secrétaire aux prises avec l’écriture difficile de Lacan ; il comporte des variantes avec le texte publié.
Citons le début de ce texte d’après le manuscrit.
« Notre recherche nous a menés à ce point de reconnaître que l’automatisme de répétition (Wiederholungszwang) prend son principe dans ce que nous avons appelé l’insistance propre de la chaîne signifiante. Cette notion elle-même nous l’avons dégagée comme corrélative de l’ex-sistance (soit : de la place excentrique) où il nous faut situer le sujet de l’inconscient si nous devons prendre au sérieux la découverte de Freud. C’est, on le sait, dans l’expérience inaugurée par la psychanalyse qu’on peut saisir par quels biais de l’imaginaire vient à s’exercer, pour porter jusqu’au plus intime de l’organisme humain, cette prise du symbolique.
L’enseignement de ce séminaire est fait pour soutenir que ces incidences imaginaires, loin de représenter l’essentiel de notre expérience, n’en livrent rien que d’inconsistant, sauf à être rapportées à la chaîne symbolique qui les lie et les oriente. […]
C’est pourquoi nous avons pensé à illustrer pour vous aujourd’hui la vérité qui se dégage du moment de la pensée freudienne que nous étudions, à savoir que c’est l’ordre symbolique qui est pour le sujet constituant, en vous démontrant dans une histoire la détermination majeure que le sujet reçoit du parcours d’un signifiant. […] nous avons pris notre exemple dans l’histoire même où est insérée la dialectique concernant le jeu de pair ou impair, dont nous avons le plus récemment tiré profit. Sans doute n’est-ce pas par hasard que cette histoire s’est avérée favorable à donner suite à un cours de recherche qui y avait déjà trouvé appui.
Il s’agit, vous le savez, du conte que Baudelaire a traduit sous le titre de la lettre volée. À une première approximation, on y distinguera un drame, de la narration qui en est faite et des conditions de cette narration.
On voit vite au reste ce qui rend nécessaire une telle composition chez un auteur à la délibération duquel elle n’a pu échapper. La narration double en effet le drame d’un commentaire sans lequel il n’y aurait pas de mise en scène possible. Disons que l’action en resterait à proprement parler invisible de la salle, – outre que le dialogue le serait expressément et pour les besoins mêmes du drame, vide de tout sens qui pût s’y rapporter pour l’auditeur –, autrement dit que rien du drame ne pourrait apparaître ni à la prise de vues, ni à la prise de sons, sans l’éclairage à jour frisant, si l’on peut dire, que la narration donne à chaque scène du point de vue qu’avait en le jouant l’un de ses acteurs. […] Ces scènes sont deux, dont nous irons aussitôt à désigner la première sous le nom de scène primitive, et non pas par inattention, puisque la seconde peut être considérée comme sa répétition, au sens qui est ici même à l’ordre du jour »…
Citons maintenant la conclusion.
« Sans doute voici l’audacieux réduit à l’état d’aveuglement imbécile où l’homme est vis-à-vis des lettres de muraille qui dictent son destin. Mais quel effet pour l’appeler à leur rencontre, peut-on attendre des seules provocations de la Reine pour un homme tel que lui ? L’amour ou la haine. L’un est aveugle et lui fera rendre les armes. L’autre est lucide, mais éveillera ses soupçons. Mais s’il est vraiment le joueur qu’on nous dit, il interrogera, avant de les abattre, une dernière fois ses cartes et, y lisant son jeu, il se lèvera de la table à temps pour éviter la honte.
Est-ce là tout et devons-nous croire avoir déchiffré la véritable stratégie de Dupin au-delà des trucs imaginaires dont il lui fallait nous leurrer ? Oui, sans doute, car si “tout point qui demande de la réflexion”, comme le profère d’abord Dupin, “s’offre le plus favorablement à l’examen dans l’obscurité”, nous pouvons facilement en lire maintenant la solution au grand jour. Elle s’obtient du titre de notre conte, et selon la formule même, que nous avons dès longtemps soumise à votre discrétion, de la communication intersubjective où l’émetteur, vous disons-nous, reçoit du récepteur son propre message sous une forme inversée. C’est ainsi que ce que veut dire “la lettre volée”, voire “en souffrance”, c’est qu’une lettre arrive toujours à destination ».
On joint le tapuscrit complet d’une version corrigée (double carbone, 42 feuillets in-fol., mouillures), daté en fin Guitrancourt-San Casciano mi-mai mi-août 1956 ; plus un autre tapuscrit incomplet (p. 1-24).
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