Lot n° 13
Sélection Bibliorare

LIVRE D’HEURES (à l’usage de Rouen). — En français et en latin, manuscrit enluminé sur parchemin. — France, Rouen, circa 1465-1470. — Avec 20 miniatures par le Maître de l’Echevinage de Rouen (actif à Rouen dans les années 1450...

Estimation : 70 000 - 90 000 €
Adjudication : Invendu
Description
jusque vers 1485). — 172 ff., précédés de 4 ff. de garde de papier et de parchemin, suivis de 4 ff. de garde de papier, manque un feuillet entre les ff. 32-33, sans doute blanc (collation : i6, ii6, iii8, iv8, v7 (8-1, manque v), vi8, vii8, viii8, ix4, x8, xi8, xii8, xiii8, xiv8, xv8, xvi4, xvii8, xviii8, xix8, xx8, xxi8, xxii8, xxiii3 (de 4, manque iv, sans doute un feuillet blanc)), écriture bâtarde à l'encre brune, texte sur 14 lignes (justification : 30 x 52 mm), réglure à l'encre rouge, rubriques en rouge, bout-de-ligne rose et bleu avec rehauts blancs et points à l'or bruni, initiales à l'or bruni sur fonds rose et bleu avec rehauts blancs (1- à 2-lignes de hauteur), les plus grandes (2-lignes de hauteur) avec décor de fines tiges tracées à l'encre noire et points à l'or bruni se prolongeant dans les marges, initiales peintes en bleu avec rehauts blancs sur fonds or avec décor de feuilles de vigne de couleur introduisant les grandes divisions textuelles, avec 20 miniatures cintrées, inscrites dans des bordures enluminées sur fonds réservés avec feuilles d'acanthe colorées, fleurs, fruits, emblèmes (houppe ou floc) et lettres «a» (petites ou grandes (cf. f. 162). ─ Reliure du XVIIe siècle, maroquin rouge, dos à 4 nerfs cloisonné et fleuronné, plats avec un décor doré de triple encadrement composé de filets dorés, reliés entre eux aux angles par des fleurons, roulettes sur les coupes, roulette intérieure, contregardes de papier marbré peigné (seule la contregarde inférieure est visible, la contregarde supérieure étant cachée par la vignette ex-libris de Edmund Macrory), traces de fermoirs (fermoirs lacunaires). Mors fragiles et mors supérieur fendu en pied d'ouvrage sur deux centimêtres, quelques épidermures, coins émoussés mais néanmoins élégante reliure du XVIIe siècle. ─ Dimensions : 90 x 62 mm. ─ Remarquable petit livre d'heures à l'usage de Rouen dont les vingt miniatures sont attribuables au «Maître de l'échevinage de Rouen», conservé dans une élégante reliure française du XVIIe siècle. Les miniatures et encadrements enluminés sont parsemés d'une énigmatique initiale minuscule «a» et d'un emblème récurrent, celui de la «houppe» ou «floc». Des notes au crayon rapprochent cet emblème de celui de la famille Luxembourg et le nom d'Antoine de Luxembourg, fils de Louis de Luxembourg, est avancé comme commanditaire possible. Pour l'heure, cela ne peut être confirmé, mais ce livre d'heures offre de fascinantes perspectives de recherche et d'identification. — Le Maître de l'échevinage de Rouen - anciennement appelé «Maître du Brunet Latin de Genève» - est un artiste actif de la fin des années 1450 jusque vers 1485 environ. Il doit sa renommée et son appellation aux cinq manuscrits qu'il enlumine entre 1457 et 1485 pour les échevins de Rouen (Rabel, 1989 ; Avril et Reynaud, 1993, p. 160). Il participe également à l'enluminure du bréviaire de Charles de Neufchâtel (Besançon, BM, MS 69) et au décor peint de deux livres d'heures exceptionnels à savoir : l'un, Dublin, Chester Beatty Library, MS W 089 où il collabore avec des artistes tourangeaux Jean Bourdichon, le Maître de Jean Charpentier et un artiste fouquetien (Yvard, 2007) ; l'autre, Heures de Jean d'Estouteville (Turin, Biblioteca reale, Var. 88). Le Maître de l'échevinage de Rouen puise ses sources dans l'enluminure parisienne autour du Maître de la Légende dorée de Münich, mais ses paysages et la matérialité de certains objets témoignent de sa connaissance de l'art flamand.
L'artiste et son atelier peignent de nombreux livres d'heures pour une clientèle variée : citons par exemple les Heures à l'usage de Rouen dites de Chrétienne de France (Paris, Bibliothèque de l'Arsenal, MS 562, circa 1470-1475) ou encore des Heures à l'usage de Bayeux (Rennes, Médiathèque Champ-libre, MS 32) datable vers 1460 et donc sans doute proche contemporain des présentes «Heures aux initiales «a»».
On connait du même artiste des miniatures réalisées pour un bréviaire démembré de petit format (dimensions des miniatures de format cintré de 57/60 x 40 mm ; voir Dunn-Lardeau (ed.), 2018, notice A. Bergeron-Foote, «Sept miniatures d'un bréviaire», Montréal, McGill, LRCA, MS 102, cat. no. 25), format très proche du présent livre d'heures, également copié dans une écriture bâtarde de petit module.
De facture très soignée, son art apparaît plutôt conservateur. Ses peintures se distinguent par une palette chatoyante où l'or est apposé à profusion et par la prédominance accordée au dessin et aux lignes anguleuses. On reconnaît ses figures avec de grands yeux ronds, son souci des architectures et des intérieurs et son goût pour les riches tentures.

♦ Ce petit manuscrit est un vrai bijou, pour l'heure empreint de mystère, en attendant que son commanditaire nous soit enfin révélé.


─ Provenance
1 - Manuscrit copié et peint à Rouen, d’après son usage liturgique, son calendrier et les litanies qui figurent des saintshonorés localement. Sur le plan stylistique, une origine normande est confirmée par l’attribution des miniatures au « Maîtrede l’échevinage de Rouen », actif à Rouen entre circa 1450 (au moment où les Anglais quittent Paris et se replient sur laville normande) et circa 1485.
La capitale normande connaît alors un essor économique sans précédent qui s'accompagned'une intense activité artistique. Ville marchande prospère et archevêché important, Rouen possède une grande clientèlelivresque potentielle, laïque comme ecclésiastique. C'est dans ce contexte qu'elle devient un centre de production demanuscrits enluminés de premier rang dans lequel se détache la personnalité du Maître de l'échevinage de Rouen. La« librairie » de l'échevinage de Rouen lui confie de nombreux travaux et il obtient, pour lui et son atelier, une exclusivitépresque totale sur ces commandes.

2 - Ce manuscrit contient deux éléments de personnalisation importants – non identifiés avec certitude pour l’heure – à savoir l’initiale « a » peint à l’or qui parsème à la fois les miniatures et les encadrements enluminés de notre manuscrit,et un symbole celui de la « houppe » ou « floc » d’or, également figuré dans les miniatures et dans les encadrements.L’inclusion de l’initiale « a » dans le décor peint, apposé à divers endroits dans les scènes enluminées, dans le ciel, sur lesarchitectures, sur les tissus, sur les vêtements, laisse présager que le possesseur pouvait porter un nom ou prénomcommençant par la lettre « A ».
Une note au crayon sur le contreplat supérieur suggère que ce manuscrit appartint à Antoinede Luxembourg (1445 ou 1450-1519), lieutenant général en Bourgogne puis serviteur du roi de France Louis XI, fils cadetdu connétable Louis de Luxembourg (1418-1475). L’emblème de la « houppe » ou « floc » est associé à Louis deLuxembourg (voir Base Devise en ligne). On la trouve sur le fronton du château de Ham acquis par ce prince en 1462.
Une seconde note au crayon suggère que la « houppe » est à relier à Louis de Luxembourg et renvoie au manuscrit deLouis de Beauvau, Le Pas d’armes de la bergère de Tarascon (Paris, BnF, fr. 1974), œuvre dédiée à Louis de Luxembourget dont le frontispice est décoré de son emblème avec des « flocs » bleus et noirs et comprend une miniature attribuée àBarthélémy d’Eyck (voir Avril et Reynaud, 1993, no. 124). Louis de Luxembourg sera exécuté pour trahison par le roiLouis XI en 1475.

3 - Sous la vignette ex-libris de Gordon A. Block Jr. (voir infra), seulement partiellement contrecollée, on découvre unsecond ex-libris, celui d’Edmund Macrory (1831-1904) de Duncairn, Belfast. Diplômé de Trinity College, Dublin,Edmund Macrory fut un important collectionneur de tableaux. Les armoiries figurées se blasonnent comme : « Or a lionrampant gules » et la devise : « Res non verba ». Une partie de la collection de Edmund Macrory fut vendue chez Christie’sle 9 juillet 1904 puis le 31 juillet 1931.

4 - Gordon A. Block Jr. (né en 1914), avec sa vignette ex-libris contrecollée sur le contreplat supérieur : « And the Truth Shall Prevail ». Gordon A. Block Jr. était le fils de Gordon A. Block (1885-1964), un avocat de l’Illinois et collectionneurde « Lincolniana », dont la collection est maintenant conservée à Philadelphie, University of Pennsylvania, Kislak Centerfor Special Collections. On conserve également à l’Université de Pennsylvanie, une Bible manuscrite du XIIIe siècle ayantappartenu à Gordon A. Block Jr. : University of Pennsylvania, Special Collections, Codex 1560, Bible, Nouveau Testament,Angleterre ?, XIIIe siècle, ex-libris « Gordon A. Block Jr. ». En 1974, la bibliothèque de Gordon A. Block Jr. fut venduepar Sotheby’s, New York, 29 juin 1974 : The Fine Library Formed the Late Gordon A. Block.

5 - Antiquariat Bibermühle Tenschert, Tenschert H. et E. König, Illuminationen. Studien und Monographien XIX. Hg. vonHeribert Tenschert, Text von Prof. E. König. Katalog 72 (2013), no. 5, pp. 162-176 : « Das Stundenbuch mit demallgegenwärtigen „a“ vom Meister der Schöffen von Rouen »

6 - Collection particulière.

─ Texte
Garde de parchemin : « Office de la bienheureuse Vierge Marie et oraisons pour tous les saincts. 1450 » (rajout XIXe oudébut XXe siècle) ;
ff. 1-12v, Calendrier, en français, à l’encre bleue, rouge et or, à l’usage de Rouen, Austreberthe de Pavilly (10 février, enrouge), Ouen (5 mai, en bleu), Romain, évêque de Rouen (17 juin, en bleu et fête le 23 octobre, en lettres d’or), Mellon, Évêque de Rouen (22 octobre, en rouge), Maclou (15 novembre, en bleu), Aignan, Saint patron de la paroisse de Mont-Saint-Aignan surplombant Rouen (17 novembre, en rouge) ;
ff. 13-21, Péricopes évangéliques ;
ff. 21-26v, Obsecro te, désinence masculine (f. 24v) ;
ff. 27-32v, O intemerata ;
ff. 33-91v, Office de la Vierge, à l’usage de Rouen, avec des suffrages placés à la suite de laudes, comme l’on trouvesouvent dans les Heures à l’usage de Rouen ; avec matines (ff. 33-46), laudes (ff. 46v-63) [f. 63v, feuillet réglé blanc],suivis des suffrages : Sainte Vierge (f. 59), Saint-Esprit (f. 59v), Michel (f. 60), Jean-Baptiste (f. 61), Nicolas (f. 61v),Catherine (f. 62) ; prime (ff. 64-70v), tierce (ff. 71-74v), sexte (ff. 75-78v), none (ff. 79-82v), vêpres (ff. 83-85), complies(ff. 85v-90v) ;
ff. 91-91v, feuillets blancs réglés ;
ff. 92-96, Heures de la Croix ;
ff. 96v-100, Heures du Saint-Esprit ;
ff. 100v-121v, Psaumes de la pénitence, suivis des litanies (ff. 117-121v) ; parmi les litanies, relevons les saints suivantshonorés à Rouen : Romain, Mellon, Audoenus [Saint Ouen], Laudus [Saint Laud de Coutances] ;
ff. 122-161v, Office des morts, à l’usage de Rouen (selon le relevé du Chanoine Leroquais), avec les leçons suivantes : (1)Credo quod ; (2) Qui Lazarum ; (3) Domine quando ; (4) Heu michi ; (5) Ne recorderis ; (6) Libera me ; (7) Peccantemme ; (8) Requiem eternam ; (9) Libera me ;
ff. 162-171v, Suffrages : Jacques (fol. 162), Antoine (fol. 163v), Catherine (fol. 165), Barbe (fol. 166v ; on notera aucalendrier Barbe (31 mars) en rouge), Apolline (fol. 168; on notera au calendrier Apolline (23 juillet) en rouge), Christophe(fol. 169v), Sebastian (fol. 171v).

─ Illustration
f. 13, Quatre évangélistes : cette composition, compartimentée en quatre, est caractéristique des livres d’heures réalisés à Rouen, dimensions : 30 x 52 mm ;
f. 33, Annonciation, dimensions : 30 x 52 mm ;
f. 46v, Visitation, dimensions : 30 x 52 mm ;
f. 64, Nativité, dimensions : 30 x 52 mm ;
f. 71, Annonce aux bergers, dimensions : 30 x 52 mm ;
42
f. 75, Adoration des mages, dimensions : 30 x 52 mm ;
f. 79, Circoncision, dimensions : 30 x 52 mm ;
f. 83, Fuite en Egypte, dimensions : 30 x 52 mm ;
f. 85v, Couronnement de la Vierge, dimensions : 30 x 52 mm ;
f. 92, Crucifixion, dimensions : 30 x 52 mm ;
f. 96v, Pentecôte, dimensions : 30 x 52 mm ;
f. 100v, David en pénitence, dimensions : 30 x 55 mm ;
f. 122, Office funèbre, dimensions : 30 x 48 mm ;
f. 162, Saint Jacques, dimensions : 30 x 50 mm ;
f. 163v, Saint Antoine Abbé, dimensions : 30 x 52 mm ;
f. 165, Sainte Catherine, dimensions : 30 x 52 mm ;
f. 166v, Sainte Barbe, dimensions : 30 x 52 mm ;
f. 168, Sainte Apolline, dimensions : 30 x 52 mm ;
f. 169v, Saint Christophe et l’enfant Jésus, dimensions : 30 x 50 mm ;
f. 171v, Saint Sébastien, dimensions : 30 x 50 mm.

─ Bibliographie
Avril, F. et N. Reynaud, Les manuscrits à peintures en France 1440-1520, Paris, 1993, nos. 89-92, pp. 171-172.
Dunn-Lardeau, B. (ed.), Catalogue raisonné des livres d’heures conservés au Québec, Montréal, Presses de l’Universitédu Québec, 2018.Rabel, Claudia, « Artiste et clientèle à la fin du Moyen Age : les manuscrits profanes du Maître de l’échevinage de Rouen »,in Revue de l’art, vol. 84, 1989, pp. 48-60.
Rabel, Claudia, « Le Maître de l’échevinage de Rouen », in Avril, F., N. Reynaud, D. Cordellier (ed.), Les Enluminuresdu Louvre. Moyen Age et Renaissance, Paris, 2011, pp. 208-211.Yvard, C. « Un livre d’heures inédit du XVe siècle à la Chester Beatty Library de Dublin », in Art de l’enluminure, 19 décembre 2006-janvier et février 2007, pp. 2-35.
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