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Lot n° 1
Sélection Bibliorare

[THÉOLOGIE]. — [GÉOMÉTRIE]. — [ANONYME]. — Extrait d’un traité sur l’Empyrée et le Paradis (?) (géométrie euclidienne appliquée à la théorie de la disposition des anges, des saints, de la Vierge et du Christ dans l’Empyrée et...

Estimation : 10 000 - 12 000 €
Adjudication : 10 880 €
Description
au Paradis).
Deux défaits de reliure, encre brune sur parchemin, écriture minuscule gothique textura, dessins à l’encre brune.
France du nord ou Flandres, vers 1300.
Dimensions : 290 mm de hauteur. Largeur défait 1 : 115 mm ; dim. largeur défait 2 : 116 mm.
Frottements et trous atteignant le parchemin, effacements par endroits dus à l’encollage des feuillets dans la reliure. Quelques décharges d’encre avec report des écritures à l’envers.

Ces deux pièces sont des défaits de reliure, ce qui explique la forme curieuse qui laisse deviner la forme de « claies », qui sont des bandes de renforcement collées avant la couvrure au dos des cahiers du corps d’ouvrage et prolongées sur les contreplats où elle sont contrecollées.

Incipit : « Secundo ita quod […] respectu eiusdem corporis christi […] imaginando tamen quod… ».

L’Empyrée est une invention médiévale qui relève davantage des enjeux doctrinaux de l’époque que de la science des astres. Partie la plus élevée du ciel qui vient enrichir la cosmologie aristotélicienne d’une sphère supérieure, l’Empyrée est conçu comme la demeure des anges et des bienheureux : les dessins des présents défaits de reliure font figurer à leur place les anges (« locus angelorum ») et les saints (« locus sanctorum ») dans des cercles tracés selon un ordre géométrique précis et expliqué dans les textes. Cette première analyse permet d’identifier que l’auteur cherche à définir les différentes façons dont les anges ou les saints sont situés par rapport à Dieu.

Les textes lisibles révèlent des considérations géométriques pointues notamment sur les circonférences de cercles, des points précis liés aux cercles, aux centres des cercles et aux diamètres. Par exemple, au paragraphe 1, défait 2, verso : « circuli predicti sed in aliquo loco circumferencie predicti circuli… » ; « […] de quolibet puncto circumferencie… » ; « […] quicquid est in concavo eiusdem circumferencie… » ; « […] in extremitate diametri in concavo… ».

Les dessins à la plume représentent les scènes suivantes [recto] : (1) Scène de présentation de la Vierge à un personnage bénissant, reproduit dans le sens inversé, presqu’en symétrie. Il peut s’agit d’une scène de « Couronnement de la Vierge » mais dans ce cas précis, la Vierge est déjà couronnée, secondée par un ange et un personnage nimbé. – (2) Schéma circulaire figurant au centre un Christ bénissant assis sur un trône et dans le cercle extérieur en alternance un ange (légende : « locus angelorum »), un saint (légende : « locus sanctorum »), et la Vierge couronnée assise sur un trône). – [verso] : (3) Schéma circulaire figurant le Christ (?) assis sur un trône mais situé cette fois au plus près du pourtour de la circonférence du cercle, une implorante nimbée dans un cercle immédiatement en-dessous et de nouveau disposés dans le cercle les anges et saints (nota bene : ce dessin est plus effacé que ceux du recto des défaits).

Sur le dessin et l’utilisation de schémas (diagrams) dans les manuscrits médiévaux, voir l’excellente étude de Melanie Holcomb, Pen to Parchment : Drawing in the Middle Ages (New York, 2009).

Pour l’heure anonyme, l’auteur est clairement un mathématicien ou un scientifique qui applique à la théologie certains principes géométriques, sous l’influence de sa lecture d’Euclide, qu’il cite d’ailleurs clairement au paragraphe (en partie effacé) qui débute : « Sexto modo ita […] intelligatur esse [….] Euclid[es] » (verso défait 1, 1er paragraphe, 5e ligne). Il est intéressant de voir le nom d’Euclide apparaitre dans un traité de nature théologique : « Car il est un fait qu’en Occident, au Moyen Age, les mathématiques ne sont pas seulement cultivées pour elles-mêmes, mais en relation avec des problèmes théologiques ou physiques » (S. Rommevaux, « La réception des Eléments d’Euclide au Moyen Age et à la Renaissance », in Revue d’histoire des sciences, 2003, 56-2, pp. 267-273.

L’Occident dispose de la totalité des Eléments d’Euclide dès le XIIe siècle grâce aux différentes traductions latines faites à partir de versions arabes, ou même directement à partir d’un texte grec et de traductions hébraïques. On citera par exemple les œuvres de traduction et de commentaire de Robert of Chester (actif au milieu du XIIe siècle) : Robert of Chester’s Redaction of Euclid’s Elements (ed. Busard et Folkerts, 1992) mais aussi la recension de Campanus vers 1260, utilisée par les savants médiévaux ou encore les Questions sur la géométrie d’Euclide de Nicolas Oresme (XIVe siècle). Du IVe au XIIe siècle, la connaissance et l’étude européennes de l’arithmétique, de la géométrie, de l’astronomie et de la musique se limitaient principalement aux traductions par Boèce de certaines des œuvres de maîtres gr ecs anciens tels que Nicomaque et Euclide.
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