Lot n° 48
Sélection Bibliorare

Marcel PROUST — L.A.S., 44 rue Hamelin [début novembre 1921], à Henri DUVERNOIS ; 7 pages et quart in-8.

Estimation : 3000 - 4000 €
Adjudication : 5 000 €
Description
Belle lettre inédite sur la publication de Jalousie dans Les Œuvres libres.
[Henri Duvernois dirigeait Les Œuvres libres, « recueil littéraire mensuel ne publiant que de l’inédit », fondé par l’éditeur Arthème Fayard. Dans le premier numéro (juillet 1921), il y publia Morte la bête, « grande nouvelle inédite », que Sacha Guitry adapta au théâtre sous le titre Jacqueline (créée le 5 novembre au théâtre Édouard VII ; Proust donna, dans la livraison de novembre des Œuvres libres, un texte intitulé Jalousie, extraits de La Prisonnière, sur la jalousie du Narrateur pour Albertine.]
« Mon cher ami Je vous écris d’abord pour vous dire combien j’ai été heureux de votre triomphe pour Morte la bête. Vous êtes inouï de pouvoir lancer ainsi tous les mois, même toutes les semaines, de si hautes et éblouissantes fusées. Encore ma comparaison n’est-elle pas juste du tout, c’est dans le sens de la profondeur que j’aurais dû la prendre. Car je ne sais rien de plus beau que ces actions en fait si contradictoires, et qu’une explication psychologique que vous laissez souvent à deviner (à quoi bon un effet fournir les détails de l’addition des mobiles quand vous êtes sûr du total) rend exactement superposables (par ex. l’étranglement) ».
Il raconte longuement comment il s’est empoisonné, le pharmacien s’étant tropé dans le dosage des cachets… « Quand alors je pensai (dans la mesure où je pouvais penser) aux doses colossales que j’avais prises, l’idée que j’allais mourir fus dominée par l’immense éclat de rire de quelqu’un qui se soumet à la torture pour diminuer un toxique et croyant le faire, en prend 14 fois davantage. Je n’ai pas quitté mon lit depuis, mais enfin je vais mieux, en diminuant les doses, mais non pas mes doses primitives, les doses du pharmacien négligent. Aussi cela commence à se remettre – il est vrai que le reste finit, pendant que cela commence. J’espère pourtant qu’on enterrera un homme désintoxiqué de la veille ! – Enfin je voulais vous dire que je me suis procuré les Œuvres libres, que ce qui me reste de vanités en a été grisé, mais que je vous supplie de ne pas lire Jalousie car je me rends compte maintenant combien j’ai mal rafistolé des morceaux qui en eux-mêmes ont q.q. sens. Toutes mes excuses à Monsieur Fayard. Car, combien ses lecteurs vont trouver mon extrait stupide. Enfin en pensant que c’est mon “unique” représentation, puisque Gallimard qui vous aime aurait du chagrin, “je me console” comme on dit précisément dans les (petits) “chagrins”. Jusque-là je croyais que c’était pas mal, mon extrait. Au lieu de console c’était désole, le verbe qui correspondait à ma défense de recommencer. Enfin, si ça ne vous a pas causé trop d’ennuis, encore une fois, je me console. Je crois que dans cette Jalousie, il y a beaucoup de choses pas bêtes et vivantes, mais j’ai mal arrangé ça. […] Je ne connais pas Sacha Guitry mais comme je l’admire infiniment, si vous en avez l’occasion dites-lui ma joie de la réussite de Jacqueline ».
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