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à réformer, à décréter à tort et à travers […] sans aucune connaissance des questions formidables qu’a soulevées l’événement du
24 février. Voilà 40 jours passés en harangues, renouvelées, de la Montagne ! On plante des arbres de la liberté, on change les
inscriptions des monuments, on fait des processions patriotiques, on chante les hymnes de 89 et 92 ; il n’y en a point encore pour
1848 !... Nous vivons sur de souvenirs. […] En attendant, le ridicule frappe à mort la République ; les ouvriers dans les ateliers
nationaux sifflent
l’Organisation du travail
; on s’en moque jusque dans les écoles de petites filles. – Cependant les affaires cessent,
le commerce est suspendu, les fonds publics sont à la détresse », etc. Proudhon accuse le Gouvernement provisoire « d’avoir
fomenté la division entre la classe travailleuse et la classe bourgeoise, et compromis, par cette détestable politique, non seulement
la tranquillité de la patrie, mais l’avenir de la Révolution. Je l’accuse d’avoir livré la dignité de l’État, et sacrifié le Trésor public
[...], d’avoir outrepassé les pouvoirs que lui donnait une dictature de nécessité, en abolissant ou changeant les lois, en sortant de la
limite des attributions ministérielles […], en rétrogradant jusqu’à cette démocratie de 93, qui n’est pas plus l’expression du peuple
que ne l’était l’autocratie de Napoléon ». Il souhaite un changement de direction et de politique au sein de ce gouvernement ; ainsi
que l’aboutissement des journées de février : « c’est-à-dire la République, c’est-à-dire plus de liberté pour tous, plus d’égalité », etc.
Il repousse l’intervention de l’État dans
l’organisation du travail
, et conclut : « Je ne sais, chers compatriotes, si cette profession de
foi, développée tout au long des publications que j’aurai l’avantage de vous soumettre, sera de nature à me confier vos suffrages »…
Quoi qu’il en soit, la question sociale est maintenant posée : que les travailleurs tendent la main aux patrons, que les patrons ne
repoussent pas cette avance de leurs ouvriers…
111.
Marcel PROUST
(1871-1922). L.A.S., [26 mars 1908], à Louis d’A
LBUFERA
; 7 pages in-8 (petit deuil, cachet de
réception, traces d’encre à la 1
ère
page, petits trous d’épingle).
7.000/8.000
B
ELLE
LETTRE
PARLANT
DE
SES
PASTICHES
,
DE
SON
PROJET
DE
ROMAN
,
ET
DE
Z
OLA
AU
P
ANTHÉON
.
Il n’a pu passer dire lui adieu avant son départ, mais le verra peut-être samedi chez les S
AUSSINE
, s’il se sent assez bien pour
sortir. « Mais je viens de passer des jours et des nuits de crises si affreuses que je n’ose faire de projets ». Ses actions en bourse
l’inquiètent, et il pense revendre « notre pauvre Rio Tinto […] Qu’en penses-tu, grand financier ? As-tu vu que dans mes pastiches
du
Figaro
j’ai parlé de ma déconfiture avec la De Beers ? »… Il se souvient qu’un serviteur de Louis était parent avec un télégraphiste :
« Dans ce cas tu pourrais m’être utile car pour quelque chose que j’écris j’aurais besoin de connaître un télégraphiste ». Il pourrait
certes demander à ceux qui lui apportent les dépêches, mais « dans mon quartier ce sont tous des enfants en bas âge incapables de
donner l’ombre d’un renseignement. Mais les renseignements […] ne me suffisent pas ; c’est surtout de voir un télégraphiste dans
l’exercice de ses fonctions, d’avoir “l’impression” de sa vie »... Il demande des nouvelles de son cousin le duc de T
RÉVISE
, qui s’était
blessé. On lui a rapporté « des paroles fort peu gentilles pour moi. Cela n’empêche pas que moi je reste toujours fidèle et affectueux.
Je ne sais si tous tes amis sont aussi nomades que les miens, mais j’en ai en Chine, aux Indes, en Égypte, en Tunisie, au Japon,
partout Dieu merci excepté à Paris ! Toi seul cher Louis serais le bienvenu si nous pouvions nous joindre, mais hélas une fatalité
nous sépare ». Il lui souhaite un bon séjour à Nice, espérant qu’il ne soit pas malade comme l’an passé, et lui donnant des conseils
médicaux : « Il m’est impossible d’y aller en cette saison de fleurs et de parfums »... Il trouve « l’envoi de Z
OLA
au Panthéon stupide »,
mais n’approuve pas
l’initiative du duc de
M
ONTEBELLO
, dont la
pensée n’est « pas très
heureuse » [ce dernier
avait protesté contre
l’entrée de Zola au
Panthéon, aux côtés de
son ancêtre le maréchal
Lannes dont il voulait
faire retirer le corps].
Proust s’amuse : « J’avais
peur de voir ton nom
dans les journaux, car
ne sachant pas si le
maréchal S
UCHET
était
au Panthéon je craignais
que tu imites l’initiative
du duc de Montebello.
[…] Il est vrai que n’ayant
aucun des miens au
Panthéon je ne peux pas
être juge »…
Correspondance
(éd.
Ph. Kolb), t. VIII, p. 76.