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“Je vois la détresse et les misères du peuple,
et je ne me cache pas qu’il y ait de l’égoïsme dans mon fait,
car je fais partie de ces misères et de ces douleurs”
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BLANQUI (Louis Auguste).
2 lettres autographes signées
adressées à Adélaïde de Montgolfier.
Prison de La Force, 6 février
1831, Paris, 11 août 1833.
2 lettres autographes, la première signée, chacune de 3 pp. in-8.
Deux très belles lettres autographes de Louis Blanqui
(1805-1881) adressées à son amie Adélaïde de Montgolfier : le
militant socialiste ne fait aucune concession et se montre
déterminé autant que d’une ironie mordante.
Fille de l’inventeur des Ballons Etienne de Montgolfier, Adélaïde de
Montgolfier (1787-1880), femme de lettres, tenait un salon à Paris
fréquenté par les libéraux. Elle fut l’égérie de Blanqui avant son
mariage et sa correspondante privilégiée alors qu’il était en prison,
puis transféré dans une maison de santé rue Picpus en 1833, grâce à
son intervention.
La première lettre, expédiée de la prison de la Force, décrit les
conditions de vie : “Nous sommes 15 dans une chambre grande
comme votre salon, avec dix lits et un poêle, trois tables et 12 chaises,
et depuis 7 heures du matin jusqu’à dix du soir, ce sont des cris, des
hourras, un vacarme à ne pas s’entendre. (…) Vous pouvez être sûre
que je suis réduit à une existence purement matérielle ; on s’y est très
bien pris pour cela.”
Il dit assumer “nos conséquences de la révolution de juillet” et les
ressentir moins amèrement “en songeant qu’au moins nous souffrons
en même temps que le peuple”.
Il demande à ce qu’on ne le plaigne pas et que ses amis, s’ils ne sont
pas totalement indépendants, ne cherchent pas à le soutenir, “attendu
qu’étant en prison, nous sommes nécessairement méprisables.”
Il revient sur les motifs de son incarcération, qu’il conteste : “Je suis
donc en prison parce qu’on a des gendarmes et des verrous pour m’y
tenir. Je le veux bien. Il y a ici une foule de gens qui se sont battus en
juillet. Je les vois arriver chaque jour, sous divers prétextes (…). Il y
en a 150 environ à La Force.”
Faire-part de mariage et lettre de rupture.
La seconde lettre débute hardiment, en pointant ce qui oppose les
correspondants : “Mademoiselle, je ne vous ai pas répondu de Ste
Pélagie, nous ne sommes pas d’accord sur les choses d’aujourd’hui.
Vous voyez les peines des puissants ; leurs ennuis et leurs embarras
sont ce qui vous touche. Je vois, moi, la détresse et les misères du
peuple, et je ne me cache pas qu’il y ait de l’égoïsme dans mon fait, car
je fais partie de ces misères et de ces douleurs. (…) Quand les maîtres
du jour, les riches, les victorieux, n’importe, voudront changer de rôle
avec nous, prendre nos peines et nous céder les leurs, ils trouveront
des gens tout prêts à faire l’échange. Si vous en voyez, communiquez-
leur ma proposition. Ils sont si malheureux d’après votre dernière
lettre, qu’ils ne peuvent manquer d’accepter avec empressement.”
Le prisonnier n’en remercie pas moins sa correspondante de lui avoir
permis de quitter la prison pour une maison de santé. Sa santé s’est
améliorée.
“Je profite de ce mieux pour mettre ma vie en commun avec une
femme que j’aime depuis longtemps et qui me rend cette affection.”
Pour autant, il s’en remet à son destin sans effusion : “Je me marie
sans éclat, comme il convient à un proscrit. Je n’ai prévenu personne,
attendu que personne n’a trop à s’embarrasser d’un prisonnier. Je
me trouve bien de cette indifférence du public et c’est tout ce que je
demande.”
Il demande à Adélaïde de Montgolfier l’adresse de sa mère et d’un
ami commun pour leur faire part du mariage qui doit être célébré à
la mairie du VIII
e
arrondissement trois jours plus tard, le mercredi
14 août : “l’État a eu soin de rendre cet acte le plus plat possible,
en haine de la solennité et de la poésie.” La jeune femme s’appelle
Amélie-Suzanne Serre. Elle a 19 ans et il la voit depuis qu’elle en a 12 :
“C’est vieux, comme vous voyez, et c’est éprouvé.”
(La femme de Blanqui devait décéder onze ans plus tard, en 1844,
alors qu’il était détenu au Mont Saint-Michel).
Il demande à sa correspondante de garder pour elle l’adresse de la
maison où il se trouve (“rue de Picpus, nº 6, Maison de santé de
Mme St Marcel”), car il ne souhaite recevoir aucune visite. S’agissant
du droit de visite en prison, il dénonce avec une ironie mordante les
nouveaux règlements :
“Il est vrai que le gouvernement a senti vivement le mérite, et vient
de le pousser jusqu’à sa dernière limite en interdisant à tous les
prisonniers de recevoir leurs parents, leurs mères, leurs sœurs, leurs
femmes. Le gouvernement est admirable d’intelligence et d’instinct.
J’ai laissé en prison un de mes amis, détenu de presse, lequel est
malade depuis longtemps ; il ne veut pas mourir le misérable, figurez-
vous. Il traîne, il traîne que c’en est indécent. Heureusement sa mère
ni sa sœur ne peuvent plus pénétrer jusqu’à son grabat ; elles passent
leur temps à courir de bureau en bureau, fesant [sic] les délices des
chefs de division qui jouent très agréablement à la balle avec leurs
personnes, probablement pour se désennuyer de cet ennui, vous savez,
dont vous me peigniez les horreurs sans pareilles auprès desquelles les
misères des cachots sont de vraies voluptés.”
Cette lettre marque la rupture entre les deux correspondants.
On joint 6 lettres autographes de Barthélemy St Hilaire,
adressées à la correspondante de Blanqui, Adélaïde de
Montgolfier. [10 août 1830 - 8 mars 1832].
Précieux ensemble de lettres donnant des renseignements inédits sur
la vie de Blanqui, sa vie privée, son activité de sténographe du
Globe
,
etc., jusqu’à son emprisonnement de 1832.
Saint-Hilaire donne également des renseignements d’ordre privé
le concernant, aborde la question de la reconstitution du
Globe
, la
résistance polonaise, etc.
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