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[PRISON].
Album de 22 dessins figurant les suicidés de la prison
Mazas.
Mazas, 1851-1859.
Album in-8 oblong, demi-chagrin noir, dos lisse
(reliure de l’ époque).
Remarquable album de dessins originaux sur 22 cas de suicides
par pendaison ou strangulation à la prison Mazas, à Paris, de
1851 à 1859.
L’album comprend 22 dessins à pleine page au crayon : 2 dessins en
tête montrant la “cellule d’infirmerie” et une “cellule ordinaire” et 20
figurant des suicidés.
2 dessins supplémentaires, sur des feuilles de plus grand format, sur le
même sujet et à l’évidence par le même dessinateur, sont joints.
Ce document, sans doute rédigé par un médecin légiste (peut-être
le successeur du docteur Jacquemin mentionné dans une notice),
détaille, avec dessins en regard, les cas cliniques de suicides par
suspension ou strangulation opérés par des détenus entre 1851
et 1859. Chaque compte rendu précise, comme un acte de décès
dûment circonstancié, la date et l’heure du suicide, l’identité (pour
le patronyme, seule l’initiale est mentionnée), la profession, l’âge,
les modalités du suicide, la date et les motifs d’incarcération du
défunt, les détails sur ses dispositions psychologiques, notamment
d’éventuels signes d’aliénation mentale, les circonstances d’insuccès
des tentatives faites pour le ramener à la vie.
Certains cas donnent lieu à des relations très précises pour telle
“circonstance remarquable” comme celle d’avoir “attaché à son
pied gauche son bidon rempli d’eau, sans doute dans l’intention de
faire contrepoids” et détaillent les circonstances de la mort à partir
de l’observation du cadavre : “Les liens se rompirent pendant la
suspension, car le matin on trouva P. étendu sur les carreaux de sa
cellule. Le cou à l’endroit où prenait la cravate était plissé, échymosé
[sic] surtout vers les oreilles, la langue était noirâtre ainsi que les
lèvres, les yeux étaient injectés et il y avait eu éjaculation spermatique.”
D’autres renseignent sur les mobiles précis du suicide par “les lettres
trouvées dans sa cellule [qui] prouvent une détermination bien arrêtée
et dont le motif est le déshonneur que sa condamnation ferait rejaillir
sur sa famille”.
La plupart des recensions font apparaître l’absence de signes
annonciateurs qui préoccupent manifestement leur auteur, soucieux
sans doute avant tout de prévenir ces actes, comme l’indique ce cas :
“Son suicide est bien difficile à expliquer car il n’avait été condamné
qu’à une peine très légère dont la moitié était passée. Une chose à
remarquer, c’est qu’il s’est pendu la face tournée contre le mur”. Un
autre le laisse résigné : “toutes les préventions échouent contre une
volonté bien arrêtée, car si on eut enlevé à cet homme la grande
planche dont il s’est servi, il se fût, comme il l’a dit lui-même, brisé la
tête contre le mur”.
Certains feuillets de l’album ont été laissés vierges, en particulier
les feuillets intercalaires des cinq derniers dessins pour lesquels
manquent la description afférente ; l’un d’eux en dispose toutefois sur
feuillet séparé, brouillon d’une notice destiné à être recopié.
Les deux dessins sur des feuillets distincts sont également sans
description.
Une notice liminaire de deux pages décrit minutieusement les
différents types de cellules présentes dans l’établissement pénitentiaire
en précisant les changements introduits pour éviter les suicides,
notamment la suppression des courroies de hamac utilisées dans bien
des cas décrits ensuite.
Le problème était en effet brûlant : “le nombre anormalement élevé
de suicides suscita très tôt la polémique sur le régime de Mazas. Pour
lutter contre le suicide, le travail fut introduit en détention” (cf. site
en ligne
Criminocorpus.cnrs.fr
).
L’établissement fut construit à partir de 1845 à l’inspiration du
modèle américain, fondé sur l’isolement carcéral et la surveillance
panoptique, qu’avait fait connaître une décennie plus tôt Tocqueville,
de retour de sa mission aux États-Unis. Situé face à la gare de Lyon, il
remplaçait la prison de La Force et fut inauguré en 1850.
La prison Mazas, du nom du boulevard sur lequel elle ouvrait
(devenu boulevard Diderot), fonctionna de 1850 à 1898, quand
elle fut démolie en prévision de l’Exposition universelle ; en effet,
les autorités ne souhaitaient pas que les visiteurs venus à Paris pour
l’exposition débarquent du train face à une prison.
Mazas accueillait principalement les prisonniers de droit commun
condamnés à de courtes peines. Parmi les personnalités ayant été
incarcérées à Mazas figurent les députés protestataires du coup d’État
du 2 décembre 1851, mais aussi Zo d’Axa, Georges Clemenceau,
Arthur Rimbaud, Maximilien Luce (cf. nº 244), Jules Vallès, Victor
Hugo, Raspail, Arago, etc.
Document unique.
3 000 / 4 000