Page 10 - cat-vent_drouot18-12-2012

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.
François, comte de BULKELEY
(1686-1756) lieutenant général au service de France. 2 L.A., au camp
devant Philipsbourg 25 juin et 15 juillet 1734, au Président de M
ONTESQUIEU
à Paris ; 1 et 3 pages in-4,
adresses avec cachets cire noir aux armes (brisés) et marques postales. [CM 396 et 400]
. ⁄ .
S
UR LA MORT DU MARÉCHAL DE
B
ERWICK
(12 juin 1734), dont Bulkeley était le beau-frère (Berwick avait épousé
la sœur de Bulkeley), et auprès duquel il servait comme maréchal de camp au siège de Philipsbourg.
25 juin
. « Vous avez bien raison, mon cher president. C’étoit une horrible nouvelle que celle que vous veniez
d’aprendre lorsque vous m’avez honoré de votre derniere lettre ; elle est irreparable, pour sa famille pour moy, et je
souhaite qu’elle ne le soit pas pour l’État ; vous sçavez combien je luy étois attaché independament de tout intéret
particulier ; ce cruel spectacle ne sortira jamais de mon esprit, ni la douleur que jen ressens, de mon cœur ». Il
compte sur Montesquieu pour consoler Mme de B
ERWICK
15 juillet
. Il déplore le « triste état » de Mme de B
ERWICK
: « Je ne sçache personne plus capable que vous de la
consoler et de dissiper un peu sa douleur. Que de raisons pour elle de s’affliger ! Quand je songe, que cet homme
aprez avoir travaillé comme un forçat pendant quarante ans, et aprez de grands services rendus aux deux plus grands
rois de l’Europe, sans avoir jamais eu un échec, est mort sans laisser de quoy payer ses dettes, et aprez avoir toujours
vécu sans faste sans ostentation : je vous avoue que cette reflection suffit pour degouter du metier, de la fortune et
du monde ; ses enfans n’ont pour tout heritage que le merite de leur père, heureux s’ils peuvent l’imiter ». Il aime-
rait que Montesquieu écrive l’éloge du maréchal : « Vous l’avez beaucoup connu et il me semble qu’il y auroit de
belles choses à dire sur ses mœurs, et son desintéressement, cela se pourroit se traitter dans une lettre à un amy, je
voudrois que le monde fut instruit de ses vertus, et que l’on rendit à sa mémoire la justice que l’envie et l’ignorance
luy ont refusé pendant sa vie » [Montesquieu ébauchera en effet un éloge historique du maréchal de Berwick]… Puis
Bulkeley évoque la situation militaire en Italie, et la prise de Philipsbourg sous les ordres du maréchal d’A
SFELD
, qui
a remplacé Berwick : « L’on s’empara hier au soir de l’ouvrage couronné, où il y avait 380 hommes avec 40 hommes
de perte de notre coté ; le logement y est bien etably, mais le plus dangereux ennemy pour nous a été le Rhin dont
le debordement nous a mis à deux doigts de mourir de faim. Notre communication avec notre cavallerie est encore
rompue si ce n’est par bateaux […] je crois que le Roy sera maître de Philisbourg avant qu’il soit 8 jours, et c’est une
conquete bien utile. Il est vray qu’elle nous aura couté beaucoup trop cher ». Il loue « la volonté et la fermeté de nos
trouppes. On voit ces misérables monter la tranchée dans de l’eau jusques au col, portant leurs habits sur leur tête,
et leurs armes en l’air, travaillant tout le jour comme des galériens, et couchant toutes les nuits au biouac, et cela
sans le moindre murmure »…
.
Denis DODART
(1698-1775) intendant de la généralité de Bourges, ami et correspondant de Montesquieu.
L.A.S. et L.A., Bourges 24 juillet et 8 août 1734, à M
ONTESQUIEU
; 2 pages in-4 chaque. [CM 402 et 405]
 ⁄ 
B
EL ÉCHANGE AVEC UN ANCIEN AMI AUTOUR DES
C
ONSIDÉRATIONS SUR LES CAUSES DE LA GRANDEUR DES
R
OMAINS ET
DE LEUR DÉCADENCE
.
24 juillet
. Il déplore le relâchement de leur commerce : « je vous suis tout aussy veritablement attaché que je l’étois
dans les temps où j’avois le bonheur de vous voir tous les jours »… Il prie son ami de lui « procurer un exemplaire de
l’édition de Hollande de l’ouvrage que vous venez de donner au public. L’amitié seule pourroit me déterminer à estre
très empressé de voir un ouvrage de vous, mais les suffrages du public et de gens dont vous respectez le jugement
augmentent fort le desir que j’en ay. Peutestre trouverez-vous la proposition de voir une édition revue par M
rs
les
Censeurs Royaux autre que celle qu’ils ont approuvée un peu hardie, mais mettez vous à ma place, je me mets à la
vostre : Je fais un livre que je crois bon puisque je le rends public, je prends la liberté d’y penser à mon aise, je suis
obligé par complaisance d’y faire quelques corrections, vous me le demandez tel que je lay fait dabord. Je vous connois
assez pour estre sûr que je ne seray point compromis, et […] pour que l’on ne scache point qui l’a mis à la poste »…
8 août
. Il voulait attendre, pour remercier Montesquieu, d’avoir « leu le livre tout entier. Il ne m’a pas encore été
possible de le faire parce que tout le monde me l’a arraché des mains. […] J’en suis aux causes de la Decadence. Je ne
doute point que cette partie ne soit aussy interressante que l’autre. Je ne scay même si l’histoire n’y fournit pas plus
de détails et de réflexions. D’ailleurs les révolutions qui se font presque toujours assez brusquement sont aussi
marquez par des circonstances plus éclatantes que l’accroissement de la puissance qui se fait insensiblement et par le
concours d’une infinité de circonstances grandes et petites qui se succèdent dans une longue suite de temps. Quoy qu’il
en soit, je ne demende à cette seconde partie que de me faire le même plaisir que m’a fait la première. Me permettez
vous cependant de vous demander sur cette première si vous n’avez pas regardé la politique des Romains au sujet de
la religion comme un des grands moyens qui ayent été employez pour reunir à eux tous les peuples. Machiavel qui a
traité à peu près le même sujet que vous insiste sur ce point. Il me semble aussy qu’il mérite quelqu’attention, je le
trouve susceptible de belles et grandes ideez, on pourroit même y en ajouter de fines dont l’application sourde au
système actuel de l’Europe feroit effet »…