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Les ouvrages de bibliophilie, eux, la

leisure library

, sont à Paris mais pas à l’Élysée.

Danielle Mitterrand a pour eux aussi dressé un catalogue manuscrit sous forme

de répertoire pour lequel elle a utilisé les mentions figurant sur les fameux « petits

papiers ». Car François Mitterrand est un homme d’ordre.

La majorité des exemplaires comporte une marque de pos-

session pleine de charme. François Mitterrand avait pour

habitude de découper une bande de papier verticale et d’y

noter, à l’encre bleue, grâce à son célèbre stylo Waterman, le

nomde l’auteur, souvent le titre du livre, la mention « ed. or. »

pour édition originale, le prix d’achat entouré d’un simple

encadrement, le nom du libraire chez lequel il avait trouvé

le livre, la date exacte de l’acquisition, le nom du relieur et le

prix de la reliure quand il l’avait commandée. Sur certains

de ces « petits papiers » apparaissent au verso les en-têtes

imprimés des palais nationaux : « Chambre des députés »,

« Sénat », « Palais de l’Élysée », ou encore « Présidence de

la République ». Ces mentions ont été reportées dans le

catalogue de la vente permettant ainsi de suivre pas à pas

l’étonnant parcours bibliophilique de François Mitterrand.

Un petit cachet à l’encre, au chiffre « F.M. », a été ajouté aux

exemplaires pour mieux lier ces « petits papiers » aux ou-

vrages dans lesquels ils se trouvent.

Cette marque de provenance si personnelle forme un hom-

mage discret à la librairie française et au marché du livre rare. Les noms des prin-

cipaux libraires de France y figurent : en premiers lieux la librairie Gallimard du

boulevard Raspail alors dirigée par Paul Derieux et la librairie Bernard Loliée.

Le centre de cette collection est constitué par un groupe de manuscrits remar-

quables placés par François Mitterrand entre les pages de deux grandes reliures

exécutées par Danielle Mitterrand, sortes de

scrapbook

personnels et secrets. Dans

l’un figurent les documents historiques ou les autographes que François Mitterrand

avait choisis, se créant ainsi une « galerie des illustres » ; dans l’autre, il plaça les

manuscrits autographes de ses propres articles, textes, ou notes personnelles rédi-

gés lorsqu’il n’était pas aux affaires, c’est-à-dire ni ministre ni président, soit princi-

palement dans les années 70. La qualité de son écriture y apparaît au grand jour, lui

qui se rêvait écrivain.

A notre époque, celle de la domination de l’image et des réseaux sociaux, les liens

que Georges Pompidou, créateur d’une

Anthologie de la poésie française

, ou que Fran-

çois Mitterrand avaient pu tisser entre la littérature et la politique prennent le relief

particulier d’un autre monde. Il n’y avait pas pour eux de politique sans littérature,

et pas de littérature sans livres. François Mitterrand s’entoure d’écrivains, consti-

tuant une sorte de cour, les interrogeant sans cesse. La gloire de l’homme qu’ils cé-

lèbrent contribue à la légitimité de son engagement.

Au-delà de la bibliophilie des grands exemplaires souvent convenue et obligée, la

force de cette vente réside dans la présentation d’un nombre considérable d’envois

d’écrivains à un Président de la République. Ici se croisent Milan Kundera, Gabriel

GarcíaMárquez, Léopold Sédar Senghor, Ernst Jünger, Louis Aragon, Michel Tour-

nier, Marguerite Duras, Françoise Sagan, Albert Camus, Jacques Chardonne et tant

d’autres. C’est bien là un cas unique dans la longue histoire du livre rare, qui sans

doute ne se reproduira plus avant longtemps.

Cette vente se présente dans l’ordre alphabétique, la quantité de livres imposait ce

choix. Place aux enchères maintenant !

Jean-Baptiste de Proyart

L'un des deux

scrapbook

de François Mitterrand dans lesquels

il plaçait ses manuscrits. Reliure de Danielle Mitterrand