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Lettres & Manuscrits autographes
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26 mai 2020
Littérature
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APOLLINAIRE Guillaume (1880-1918)
L.A.S. « Gui », 16 mai 1915, à « Ptit Lou » [Louise de COLIGNY-
CHÂTILLON] ; 4 pages in-8 sur papier quadrillé.
Belle lettre d’amour du soldat à Lou
.
Il parle d’abord de son ami dentiste Daniel TZANCK, conseillant à Lou
d’aller le voir… « Je t’écris en fumant comme un mylord une excellente
cigarette de Maryland envoyée par mon ptit Lou qui est le plus charmant
trésor qui soit au monde. Je t’adore, mon ptit Lou, toi qui fais l’amour
avec l’ingénuité de Saint François d’Assise parlant aux oiseaux. [Lou a
tracé un point d’interrogation en marge de cette phrase.] Tu es gentil
comme tout. Tu m’as fait jusqu’ici un bien immense dont je te suis très
reconnaissant et après la guerre si tu veux continuer ta gentille influence
sur moi, tu feras de ton Gui, un homme épatant qui te devra tellement que
jamais il ne pourra t’en être assez reconnaissant. Il a fait hier un temps
épatant. Je voudrais bien qu’il continue. En ce moment c’est minuit, je
viens de faire un tour à cheval. Les routes, les prés sont jonchés de
petits diamants que sont les vers luisants. Je m’en allais rêvant de toi,
de ta gentillesse, de ton charme si capiteux. De temps en temps, l’
Halte
là
décidé d’une sentinelle me rappelait à la réalité guerrière que j’avais
oubliée. Puis c’était tout le petit drame du mot qui se déroulait et une
fois passé je retombais dans cette rêverie déréglée où tu flottais réelle à
peine comme une musique et voluptueuse comme le tendre chant d’un
violon. Je suis rentré à 11 heures après m’être égaré deux fois ; malgré
les étoiles la nuit n’est pas très claire. L’étoile nommée Lou palpite au
dessus de moi comme si c’était ton cœur même qui battrait dans le
ciel nocturne. Et tandis que meurent au loin les dernières rumeurs des
convois de ravitaillement le chant du rossignol s’éveille déjà en trilles en
roulades avec d’infinis points d’orgue et des silences brusques. Je vais
regarder de nouveau tes chères photos et ensuite je vais aller faire dodo
et dans un beau songe te revoir sans doute avec tes yeux langoureux,
l’adorable douceur de ton baiser et la violence passionnante de ton
étreinte exquise langue éternelle et je te prends toute »…
1 200 - 1 500 €
98
ARAGON Louis (1897-1982)
L.A.S. « Louis Aragon »,
Paris
[1923 ?], à Denise LÉVY ; 2 pages in-8,
en-tête
“Le Select”. American Bar
.
Lettre amoureuse à Denise Lévy
.
[Denise Kahn, alors épouse du médecin strasbourgeois Georges Lévy,
était la cousine de Simone Kahn, la première femme d’André Breton].
Ne pas lui avoir écrit depuis longtemps lui permet de « passer sous
silence les petites histoires au jour le jour, bien sottes », dont il n’aurait
pas manqué de l’entretenir. « Je ne voudrais vous raconter d’ici que la
lumière. Tout de suite, si je l’écris, tout a l’air de manquer de naturel.
Pourtant il y a une chose bien vraie, même écrite, je suis tout seul
maintenant. Paris, capitale de la France – une grande ville à coup sûr,
et moi ? Je regrette votre présence, comprenez bien. Je flâne désor-
mais, je traîne sans grand espoir. Ai-je jamais fait autre chose, oui, mais
aujourd’hui les désirs de chacun me paraissent bien particuliers. Pas
une proposition, un dessein assez grand. Il y a justement beaucoup de
brouillard ces jours-ci »... Il partait pour une longue lettre, mais y renonce :
« Une espèce d’abattement ne vaut rien pour la correspondance. Je
me débarrasse en deux lignes de nouvelles : Maxime [Alexandre] va
bien, sa femme part ce soir en Italie. Lui n’a rien trouvé encore, il est
au bout de son argent, il se débrouille comme il peut. Ailleurs, rien à
signaler. Simone vous dira le reste »... Et de terminer par des lignes
désabusées : « Les gens occupés sont drôles. Ils ne savent pas com-
bien les journées sont longues. Ils ne savent pas ce que c’est que de
vieillir doucement devant un morceau de verre, un cendrier. Il m’arrive
de ne plus souhaiter d’être interrompu dans cet ennui. La conversation,
il y aurait à expliquer pourquoi je parle tout le temps avec les gens que
je fréquente parfois, et pourquoi je me tais si je suis seul. Je manque
assez facilement mes rendez-vous et plus tard désœuvré – tout cela
manque d’intérêt, n’est-ce pas. Je suis, voyez-vous, un sujet d’ironie
facile. Denise… un nom à calligraphier :
Deni…
vous voyez bien que je
ne sais pas. Allô, m’entendez-vous bien ? »…
300 - 400 €
99
ARAGON Louis (1897-1982)
L.A.S. « Louis A. », Nice 25 mars [1942], à André ROUSSEAUX ;
¾ page in-4.
Il signale la publication dans la revue
Fontaine
d’une nouvelle d’Elsa
TRIOLET,
Mille regrets
: « Comme ce n’est pas long, je ne crains pas
de vous accabler. Mais au fond, c’est faire connaissance… et je ne crois
pas que le fait d’être “le mari” y change quoi que ce soit ». Il évoque
un poème de P.E. [Pierre EMMANUEL] : «
Combats avec
… [
Combats
avec tes défenseurs
, éd.
Poésie 42
, P. Seghers] est un beau livre, n’est-
ce pas ? Très au-delà des
Cantos
arrivés presqu’en même temps »…
200 - 300 €
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Détail du lot 199