Page 13 - ROBINE-RELIURE

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Cette manière unique d’approcher la reliure, de lui offrir la chance
d’un total renouveau, se pense dans un paysage assez précis. Annie Robine
se partage entre une ville qui lui offre une grotte de lumière au cœur des
terres, Rennes, et une baie ouverte et éprise de ses escarpements, Cancale.
Entre les deux se tient la ville de tous les ralliements et de toutes les
relances, Saint-Malo, dans sa large beauté naturelle et humaine, dressée
dans sa grandeur sous l’œil attentif de François-René de Chateaubriand
peint admirablement par Girodet. La côte et ses découpes, la palissade
des brise-lames fichés profondément dans le sable, les marées qui dansent,
l’orgueil rentré des malouinières, les îles et les murs, tout concourt à un
climat intérieur que le ciel très ample exalte encore. C’est dans les limites
de cet étroit triangle que la reliure se resonge, je ne dirais pas qu’il n’y a
pas ici ou là des rappels de Méditerranée, de cet autre monde utopique
et rival qu’Annie Robine porte en elle. La Côte d’Armor est toutefois un
terreau propice à la récolte des matériaux. Annie Robine est en quête. Elle
veut parer des livres, les honorer dans leur tendance secrète, en révéler
l’éclat enfoui au cœur des mots et des plis du papier. Il s’agit de construire,
d’assembler, de confronter. Elle se tient dans le vertige des possibles que lui
souffle sa sensibilité. Il n’est pas question de dédaigner le cuir, principe de
base de la reliure. Elle y recourt, mais au prix d’une recherche de matière
d’abord, de nombreux ajouts qui sont autant de mariages des inattendus
ensuite, d’éléments extérieurs enfin qui rehaussent le chant de la matière
initiale. Le cuir est modelé par la forme, il a une tendance enveloppante,
drap du sens, couverture de la voix. Les matières sont variées, le requin
s’associe au buffle, le maroquin à l’autruche, la chèvre au crocodile. Les
plus accomplies des reliures de cuir présentent moins un contraste de
couleurs qu’un savant camaïeu de matières. La différence se dissimule,
s’offre dans une continuité, la surcharge est repensée sous l’impératif de
la discrétion et pourtant c’est une preuve de faste qui se révèle en dernier
ressort. Le cuir est susceptible de tout permettre pour peu d’être abordé,
comme le fait Annie Robine, sans aucun préjugé. Elle est néanmoins loin
de ne s’en tenir qu’au cuir. Elle fait tomber d’autres tabous. La grève lui
offre des coquillages de toutes sortes, elle en fait des reliures, soit une