Page 14 - ROBINE-RELIURE

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grande coque qui est comme un fruit entrouvert, soit une multitude
prompte à s’assembler pour des plats qui sont un hymne à la mer. Elle
s’adonne au tissu, elle compose le vêtement du livre, jupe ou aussi bien sac,
elle se laisse attirer par les perles en tous genres, elle donne leur noblesse
aux colifichets et aux fanfreluches, elle les doue même de ce sacré sans
lequel ils resteraient dans leur appartenance secondaire. Tout ceci avive
l’élégance des riens, jubile dans la frénésie des métamorphoses, l’accessoire
devenant pure essence. À cette fantaisie qui est si tonique et qui porte à un
rêve toujours relancé dans son urgente nécessité, fait face des intentions
de poids : cela va de la présence des minéraux à la récupération dans des
usines désaffectées de métaux, souvenirs de machines encore, qui vont se
muer en sculptures plaçant le livre dans la rectitude d’une tension tout en
s’imposant de n’être qu’un plat de reliure. De la légèreté de la plume on
passe à la pesanteur du métal rouillé, serait-il tenu assemblé par des lanières
de galuchat. S’attarder sur la diversité des matières est significatif mais non
suffisant, il convient d’ajouter que l’inventivité des formes est tout aussi
importante, et que dire du choix des livres, lui-même prépondérant. Annie
Robine est une magicienne qui combine les éléments du divers pour en
faire des totalités indissociables. Montrant quelques directions, elle révèle
des possibles qui ne sont en vérité que les variations de son tempérament
et de la subtilité de sa main. Tout est né d’elle, elle a donné à voir une
reliure jamais rencontrée, plus en accord avec les défis de l’univers de l’art
qu’elle ne l’est la plupart du temps. Elle tire la reliure vers le haut, dans la
démesure de l’expression propre à la plus ambitieuse des créations. Annie
Robine est pleinement relieur sans jamais oublier d’être artiste. Elle signe
dans un rire l’éclat si captivant de son passage.
Nuit des tilleuls
, Reiner Kunze