Page 4 - ROBINE-RELIURE

Version HTML de base

fête, jubilation baroque de l’éclat, grand moment de déploiement. En un
mot une intimité (celle du texte, celle de la sensibilité qui s’en empare)
se porte résolument au-dehors dans un épanouissement de fleur (soit de
terre, soit de mer), dans le risque d’une exhibition avouée jusque dans son
extrême beauté de mystère. La reliure dit tout, elle résume à la façon d’un
frontispice, et aussi bien n’avoue rien, il faut soulever les couches diverses,
il importe de laisser son regard glisser sur les recouvrements, même face à
un bloc on s’attarde plus que de raison sur l’épaisseur de jour ou de nuit de
la matière. Annie Robine est un relieur, sans doute l’un des plus intrigants
de son temps en ce qu’elle est la plus à distance des anciens et nouveaux
académismes, elle fait miroiter une différence qui est précieuse au regard,
qui étincelle ou rentre dans sa profondeur, elle n’est pas attendue, elle surgit
d’un pays improbable, celui de ses rêves et de ses désirs, elle lui rend ses
contours, elle est unique, elle est un relieur qui s’est projeté en avant : de la
reliure comme plus généralement de l’art. Annie Robine est une artiste qui
a fait de la reliure son médium, son principe d’intervention. Par goût de
l’imprimé et du sens intensément poétique des textes. Elle serait à l’égal un
sculpteur, un couturier, un peintre mettant en cause son art par le collage,
l’assemblage, les incrustations, un dessinateur jonglant avec les couleurs,
mais toujours et surtout quelqu’un qui prendrait en main la matière pour
la magnifier. Annie Robine est un relieur incomparable d’être ainsi tous
ces possibles, de les assumer dans la reliure revendiquée comme la voie
des synthèses les moins probables et des défis à l’immédiateté déjà trop
datée du convenu. Elle est éperdument novatrice, tant par la rigueur de sa
conception et de son exécution que par la sensualité de l’apparence qu’elle
tient à donner aux choses. Un relieur qui s’est avancé loin sur le chemin
escarpé des impossibles. Et qui tend la lumière de sa lampe prête à rebondir
à chacune de ses tentatives d’incarner le rêve, de le placer en excès.