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LES LIVRES D’ARTISTES

Un nouveau territoire conquis par les bibliophiles

Livres d’artistes ! Il faut oublier la primitive définition les concernant car elle a évolué. Dans les années

1960

on

désignait ainsi, dans l’allégeance

au mouvement conceptuel, des ouvrages produits par procédés photomécaniques à

grand tirage et faible prix pour toucher un large public.

1

Pour de tels livres, de modeste apparence, l’expression ne

convenait pas. Elle s’applique en revanche pleinement à une nouvelle vague survenue entre

-

temps où l’artiste tient le

rôle principal et apporte réellement ce que semble exiger l’enseigne : goût, invention, habileté manuelle.

Le nouveau livre d’artiste se tient à distance à la fois du premier type, un peu minimaliste, du livre de peintres (orné de

loin en loin d’une planche gravée par un peintre) et du livre-objet (boîte enfermant un amas d’objets se disant propres

à évoquer un pauvre petit volume enfoui dans ce fatras).

Assumant une grande part de la réalisation, l’artiste choisit à son gré un mode d’expression panaché de procédés :

gravure, manuscrit, typographie, photographie, ressources tirées de l’informatique, graffiti, pliages, collages, reliefs,

mises en page éclatées, leporellos

2

… ; les textes souvent textes-prétextes se réduisent à des fragments de proses ou de

courts poèmes. De ces emprunts naissent des œuvres originales, porteuses de toutes les libertés, de toutes les audaces,

de toutes les fantaisies.

Cette survenance était prévisible autant que justifiable par plusieurs facteurs. Profusion des moyens d’accès à la

connaissance : livres à bas prix, Internet, médiathèques…, laissant toute latitude à une nouvelle génération d’éditeurs

inventifs de composer des livres ludiques, sans préjudice pour ceux qui sont utiles ; multiplication des procédés de

figuration des mots et des images ; tentation pour les artistes de diversifier leur talent ; attente d’un public qui se

détourne — pour un temps — des livres illustrés de l’entre-deux guerres et de l’après-guerre comme démodés et des

livres de peintres comme inabordables, et par conséquent anxieux d’innovation.

Voici donc un espace vacant vite occupé, avec déjà ses affidés aux aguets, surveillant l’apparition de livret tirés ou

produits à

30

,

20

,

10

,

7

,

3

exemplaires et difficiles à saisir. Peut-être est-il temps de s’en emparer avant que la mode, la

vogue voire la gloire les rendent inaccessibles, comme par exemple ceux de PAB ou de GLM, qui se vendaient mal en

paraissant et qu’aujourd’hui l’on s’arrache.

Dans la collectionVidalenche presque tous se distinguent par un caractère d’unicité qui en fait des objets très désirables :

présence de dédicaces, de manuscrits, de dessins, d’aquarelles… En outre près de

100

reliures inconnues jusqu’à ce jour

et sorties des ateliers des meilleurs maîtres du moment portent des décors appelés, inévitablement, à porter témoignage

du goût de notre époque. Si les livres n’avaient déjà leur statut et leur valeur intrinsèque, ces vêtements d’apparat leur

assureraient à eux seuls une survie. On remarquera en particulier quatorze reliures signées de Renaud Vernier, artiste

détenteur du titre très convoité et rarement décerné par l’État de « maître d’art ». La plupart des trente autres relieurs

présents dans cette galerie se hissent à un niveau d’invention et de perfection technique proche de celui de Vernier.

En résumé, nul ne saurait contester que chacun des livres ici présentés soit par essence une pièce de collection.

En se séparant de celle-ci, Gérard Vidalenche a transformé le personnel

ex-meis

de l’amateur en un fraternel

ad omnes

adressé à la communauté des bibliophiles et des amateurs d’art.

Christian Galantaris

1

  Une exposition leur a été consacrée avec un catalogue :

Livres d’artistes. L’invention d’un genre. 1960-1980

. Paris, Bibliothèque nationale,

1997

.

2

  Livre se dépliant en accordéon. Mot nouveau emprunté au

Don Juan

de Mozart où le valet, Leporello, s’apprête à faire défiler les « mille e

tre » conquêtes de son maître.