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Né à Lausanne, Théophile-Alexandre Steinlen (1859-1923) – naturalisé français en 1901 – fut dessinateur, graveur,

caricaturiste, illustrateur, af chiste, peintre et sculpteur. Autodidacte, son trait s’inscrit toutefois dans la lignée de ceux de

Delacroix, Daumier, Manet ou Degas. Après une formation au dessin d’ornement industriel à Mulhouse, Steinlen s’installe

à Paris à Montmartre en 1881. Il rencontre Adolphe Willette auquel le liera une amitié indéfectible. Celui-ci le présente à

Rodolphe Salis qui vient d’ouvrir un cabaret, le Chat Noir, premier du nom ; Steinlen y fera la connaissance de Toulouse-

Lautrec, Aristide Bruant…

En octobre 1883, Steinlen donne ses premiers dessins pour

Le Chat Noir,

« feuille » satirique fondée par Salis et dirigée

par Émile Goudeau. Cette première expérience avec la presse marque le début d’une longue collaboration qui sera très

importante jusqu’au tournant de 1900. Après la loi sur la liberté de la presse de 1881, les périodiques illustrés connaissent en

effet en France leur âge d’or. Artiste sans fortune, Steinlen se tournera vers eux pour subvenir aux besoins de sa famille. Les

nombreux dessins qu’il donnera désormais pour

Le Mirliton, L’Écho de Paris, La Caricature, Le Figaro illustré, La Plume,

Le Rire, Le Chambard socialiste, La Feuille

de Zo d’Axa,

Cocorico, L’Assiette au beurre

ou encore le journal munichois de

son ami Albert Langen,

Simplissimus,

lui assureront la notoriété et constitueront longtemps son principal gagne-pain.

Parmi les titres de cette presse illustrée, le

Gil Blas illustré

tint une place particulière. Supplément artistique et littéraire

hebdomadaire du

Gil Blas,

il est créé en 1891 et sera dirigé par René Maizeroy. Ses huit pages, illustrées de dessins reproduits

en noir ou en couleurs, souvent à pleine page, concourront à faire décoller les ventes du journal. Vendu cinq centimes le

numéro, ou prime pour les abonnés, le tirage du supplément passera de 160 000 exemplaires en 1891 à 260 000 exemplaires

en 1893. Y sont publiés des feuilletons, de la poésie, des critiques de spectacles et des chansons, dont celles de Bruant. Son

contrat avec le journal stipule qu’il devra fournir dix dessins par mois. Et, de fait, en presque dix ans, de 1891 à 1900, Steinlen

donnera quelque 700 dessins au

Gil Blas illustré

(parus dans 503 numéros), dont de nombreuses, en couleurs pour la première

page ou accompagnant la chanson, à la dernière.

Les dessins de Steinlen privilégient les scènes de rues qu’il traite principalement au crayon, au fusain, aux crayons de couleurs

ou à l’aquarelle. Nombre de ces scènes ont pour sujet les conditions de vie et de travail des classes populaires et ouvrières, vers

lesquelles vont ses sympathies. En 1888, il obtient un grand succès avec ses illustrations pour le premier volume du recueil

de chansons de Bruant,

Dans la rue.

En 1895, il donne celles du deuxième volume. La gure humaine (l’ouvrier en blouse, le

bourgeois, les lles de rues, les artistes, les enfants…) tient une place importante dans son œuvre, mais l’animal n’en est pas

absent, loin s’en faut, et le chat, son animal fétiche, moins qu’aucun autre, auquel il consacrera un livre.

Après 1900, voulant se libérer des contraintes de temps liées à cette collaboration trop régulière, Steinlen cesse progressivement

de travailler pour la presse et se consacre plus volontiers à l’af che et aux livres illustrés. Pour ne citer que quelques-uns des

livres pour lesquels il donne les illustrations :

Chansons de Femmes

de Delmet (Enoch-Ollendorf, 1896 ; v. n°15 de la vente),

Barabbas

de Descaves (Rey, 1914 ; v. n°16 de la vente),

L’Histoire du chien de Brisquet

de Nodier (Pelletan, 1900 ; v. n° 56 de

la vente, ex. BERALDI),

L’Affaire Crainquebille

d’Anatole France (Pelletan, 1901 ; v. n° 21 de la vente, ex. SUZANNET,

avec tous les dessins),

Le Vagabond

de Maupassant (Société des Amis des livres, 1902 ; v. n° 46 de la vente),

Les Soliloques du

pauvre

de Jehan Rictus (Rey, 1903 ; v. n° 66 de la vente),

La Chanson des gueux

de Jean Richepin (Pelletan, 1910 ; v. n° 65 de la

vente)… Il lui arrivera en outre, régulièrement, de créer des cuirs incisés pour orner les reliures des exemplaires de luxe de ces

éditions (v. n

os

16, 17, 21, 22 et 64 de la vente).

Avec Lautrec, Willette, Léandre, Chéret, Forain ou Ibels, Steinlen « a contribué de manière sensible à la construction

graphique d’une romance sociale parisienne ». En plein âge d’or de l’af che et des grands périodiques illustrés, son œuvre t

de lui l’une des gures centrales de la culture visuelle européenne.

Kaenel (Ph.),

Théophile-Alexandre Steinlen. L’œil de la rue,

Lausanne, Musée cantonal des Beaux-Arts – Milan, 5 Continents

Éditions, 2008, pp. 89-103, 207-215, 216-218 et

passim

; Fourny-Dargère (S.),

Théophile-Alexandre Steinlen et ses amis...

, Musée de

Vernon, 2016,

passim

; Ray (G. N.),

The Art of the French Illustrated Books, 1700 to 1914,

New York, Dover, 1986, pp. 440-446.

a. RECUEIL STEINLEN

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COLLECTION JEAN-CLAUDE DELAUNEY