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BREITBACH Joseph (1902-1980) Ecrivain allemand. Rationaliste sceptique, il joua un rôle actif dans les échanges culturels entre la France et l’Allemagne. Ami de Gide, de Schlumberger et de Green

22 lettres autographes signées « Beppo », environ 45 pages de formats divers. Années ’30 à 1972. On joint un brouillon autographe et deux tapuscrits de réponses de J. G., ainsi qu’un dossier de 18 lettres (photocopies) de ce dernier, conservées à Marbach.

Extraordinaire correspondance au contenu littéraire et privé.

Les premières lettres, datant du début des années ’30, sont, pour certaines, rédigées sur du papier portant l’en-tête « Josef Breitbach – Représentant littéraire de la Deutsche Verlags-Anstalt… Paris ». Le langage de l’écrivain allemand, qui signe très amicalement « Beppo », y est très libre, au point que Green a noté sur l’enveloppe renfermant cette correspondance : « Lettres plutôt carabinées de Breitbach » ! En effet, bien que l’argument principal de ces missives soit la littérature, les allusions aux aventures amoureuses de B., à ses moments de dépression et d’enthousiasme, prennent parfois le dessus.

Nous nous bornerons à donner ici quelques brèves citations, relevées au hasard de la lecture de cette correspondance spontanée et hors du commun, très représentative d’un monde littéraire libéré.

Après avoir suggéré à J. G. d’écrire enfin un roman « comique », Breitbach ajoute : « … Tu es un poète dans le sens strict du mot, même, ou presque justement, les négligences de Minuit devraient ouvrir les yeux à tous ceux qui ne l’ont pas compris jusqu’ à présent. En tout cas on devrait pavoiser pour Minuit… ». Dans une autre lettre, il parle longuement de Goethe. Green est à Rome ; Beppo lui reproche de se limiter, en fait de distractions, « … aux plaisirs et aux émotions de l’esprit. Ce n’est pas bien… Tu n’as qu’ à lire les Elégies Romaines de Goethe pour voir avec quelle sagesse – lire raffinement - bon sens - tendance d’ équilibre – le ‘vieux’ avait combiné, à Rome, les deux choses essentielles de notre vie… Comme je t’envie… Je suis rongé par des doutes à la valeur de tout ce que j’ai donné jusqu’ à présent… La vision d’une culture rhénane qui comprend la Bourgogne et la Flandre… me hante et tu verras quel rôle énorme y jouerais Rubens… ». Plus loin, il avoue qu’il détesta Nietzsche avant même de l’avoir lu. Maintenant qu’il lit « … ce fils de pasteur protestant…

tout ce que j’avais senti d’avance m’est certifié. Je ne peux voir en Nietzsche qu’un malheureux luthérien qui a fait un vrai Golgotha de sa vie… Car est-ce que le monde a jamais vu deux espèces de vrai teutons, voir boches dans le langage de nos jours, comme Wagner et Nietzsche ? Je n’ai pas de mots pour exprimer ma haine profonde contre cette personne qui voulait être grande et qui ne l’ était pas. Après Goethe on ne peut être Nietzsche, il aurait pu être un précurseur de Goethe… En lisant les livres de Nietzsche… j’ai dû penser sans cesse à ce qu’ il a préparé : Hitler… Pourquoi Hitler ne déclare-t-il pas devant tout le peuple : je suis payen, fermons les églises… », etc. Il est encore question d’Heinrich Mann, de Racine, Victor Hugo, Flaubert et de Laclos…

Breitbach raconte encore qu’étant dans une gare « … Il y avait avec moi un pêcheur de la mer baltique que j’avais enlevé dans la salle d’attente… la suite à votre imagination ! ... Comme c’est dommage que je ne puisse pas vous peloter maintenant à Berlin ! Je connais une vingtaine d’endroits inouïs dans les quartiers ouvriers : Prix modérés… ». Dans une autre lettre, rédigée sur une feuille de la Gustav Kiepenheuer Verlag de Berlin, il confie à son confrère que les garçons qu’il voit dans le métro, dans l’autobus et dans les rues « … sont magnifiques et je crois bien séduisants , mais je ne suis jamais seul, et le soir tellement fatigué que je tombe dans mon lit… ».

Vers la fin de sa vie, les missives de Breitbach à Green se font plus rares. Les quelques billets ici conservés sont des remerciements pour l’envoi de livres. L’Allemand éprouve-t-il quelque jalousie vis-à-vis de son confère, dont les ouvrages rencontrent un franc succès ? Ses lettres sont désormais critiques, aigres. Green est attristé et le lui fait savoir. Ainsi, la minute – ici conservée – d’une réponse de Green de cette époque résume bien l’attitude de Breitbach : « … J’ai lu ta lettre avec un peu de tristesse, mais elle est trop déraisonnable et contient trop d’ inexactitudes pour que je me sente en humeur de discuter avec toi. Pourquoi me chercher querelle à chaque livre ? Qu’as-tu donc ? Je renonce à te comprendre… et je crois en vérité que tu ne m’as jamais compris. La sagesse peut-être, comme tu la proposes, sera de nous en tenir à des souvenirs d’autrefois. Je ne t’ai jamais voulu que du bien et continuerai à le faire… ». Ainsi se termine la longue amitié entre Green et Breitbach, deux hommes à la sensibilité profondément différente.

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