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233.
André MORELLET
. L.A., 15 mai 1771, à Jacques Turgot, intendant de Limoges ; 7 pages in-4, adresse.
1.200/1.500
Très longue lettre contre la bassesse de Voltaire et sur les affaires du temps.
S’il ne lui a pas écrit, ce n’est pas par faute de matière, car tout ce qui se passe fournirait des volumes. « Je ne puis vous
dire jusques à quel point j’ai eté tenté d’ecrire et des sarcasmes et des raisonnemens. Je regarde même comme une sorte de
lacheté de ne l’avoir pas fait. Mais j’en ai eté detourné par nos amis. Les risques sont trop grands. On connoît ma manière au
moins dans l’un de ces genres. Les seuls soupçons m’auroient perdu. Mon entreprise du dictionnaire [
Dictionnaire universel
de commerce
] couroit des risques aussi et je compromettois la fortune de mes libraires. Toutes ces raisons m’ont rendu sage.
Mais je vous assure que si j’eusse eté libre et aiant un necessaire independant j’aurois mieux aimé m’expatrier que me taire. La
chose qui m’a irrité davantage est la bassesse de Voltaire. On a du vous envoyer ces papiers sans nombre qu’il a repandus.
Si je pouvois entrer en cachette dans l’attelier de Pigale je prendrois un marteau et je briserois sans scrupule et sans pitié
un monument qui etoit sans doute elevé à l’homme de lettres plutôt qu’à l’homme honnête mais qu’un homme de lettres qui
affiche la malhonneteté ne merite plus »… Il s’est retiré de la société, car les conversations roulant toujours sur ce sujet le
remplissaient de tristesse… Il évoque ensuite l’affaire de leur ami Desmarets, qui s’est terminée au profit de « ce petit polisson
de Vattier », à cause d’une préférence de Trudaine, et il se plaint de l’incertitude de sa gratification, qui malgré les assurances
du contraire n’est pas perpétuelle, au risque d’arrêter son travail et l’impression. Il remercie Turgot de ses soins et de ses
démarches en sa faveur… « Vous saves que notre indult est une pauvre piece dans mon sac à raison de la recommandation
de Mr de Toulouse qui y est jointe lequel Mr. de Toulouse est cordialement detesté par Mr. le chancelier »… Il l’entretient des
affaires de M. de Boynes, Mme de Boisgelin, Chauvelin, Caillard, de la santé de Trudaine et de l’éducation de ses enfants…
Quant à M. d’Invaux [Maynon d’Invault, contrôleur général] : « C’est un homme bien etrange. Saves vous qu’il fait aujourd’hui
très hautement l’apologie de tout ce qui se fait qu’il n’a que le mot d’autorité du roi, à la bouche qu’il trouve que le nouveau
parlement est aussi bon qu’un autre &c. Je crois vraiment que dans ses chateaux en Espagne cet homme se fait toujours
empereur de Maroc. Je n’irai pas vivre sous sa domination »… Puis Morellet parle de sa santé, de ses dents qui vont bientôt
tomber, de l’Académie avec la prochaine réception académique de l’abbé Arnaud : «On a enfin ouvert la bouche à Mr Thomas
qui lira son morceau sur les femmes. Saurin lira une epitre sur le malheur de vieillir. Il a raison mais tout le monde sait cela et
c’est une vérité trop triste pour se donner la peine de la mettre en vers »… Il parle pour finir de la mort du relieur Le Monnier
et de la triste situation de sa veuve…
234.
André MORELLET
. L.A.S., Colmar 11 juin [1775, à Jacques Turgot] ; 4 pages in-4.
800/1.000
Belle lettre sur son voyage en Alsace. La nouvelle d’Amérique lui a fait vraiment plaisir « parce que j’aime la paix autant
que vous. J’ai vu avec plaisir que même dans la province que j’habite et qui est toute guerriere on n’aime pas plus la guerre
que nous au moins les personnes que j’y ai vües et qui toutes regardent la guerre comme un fleau malgré tout ce qu’on dit de
l’argent qu’elle vaut aux provinces frontieres. Je ne remarque cela que comme un progrès dans les idées qui est interessant »…
Logé chez le Premier Président de Colmar, ses bulles [pour le prieuré de Saint-Valentin de Rouffach] sont enregistrées, et il
évalue son bénéfice à au moins 4000 francs. « Mais le plus difficile nous reste à faire c’est d’evincer le cardinal de Rohan qui
s’est fait adjuger ledit prieuré depuis la destruction des jesuites pour payer des conversions ou pour bâtir son seminaire. Il a
des lettres patentes mais plus je vois un arrêt du concile qui est ma piece principale et d’après lequel il appert que le benefice
appartient à l’ordre de St Benoît et que l’union faite au collège de Shelestadt est nulle plus je me rassure appuyé sur ce bon
droit et sur la justice du concile dont vous etes membre »… Il compte partir mercredi pour Bâle, Zurich, Soleure et Berne, pour
être à Genève le 30, et il rend compte de ses échanges avec des corroyeurs à Brienne, et des travaux de charité de l’intendant
de la Lorraine… Il voudrait des nouvelles de son « petit papier sur Necker » [
Analyse de l’ouvrage intitulé ‘De la législation
et du commerce des grains’
]. À Colmar, on ignorait l’existence de l’économiste Linguet et de la
Théorie
du
paradoxe
de
Morellet, qu’il espère pourtant faire lire à un conseiller souverain, et de plaisanter : « Je fais le metier de Boscovich dont
Fontaine disoit saves vous pourquoi Boscovich voyage. Il
va
pour faire
aller
ses livres »… Il avoue cependant subir les effets
de la dissipation du voyage, privé comme il est des aises de sa rue Saint-Honoré : « si je continuois ce train de vie un peu de
temps je ne serois bientôt plus
un animal depravé
comme Jean Jaques [Rousseau] pretend que l’est tout homme qui medite.
Je pourrois seulement demeurer
un animal
. J’ai pourtant trouvé icy un livre qui me conservera
animal raisonnable
. Il est
intitulé
Regulæ syllogismoram quæ sunt in actuali usu in Sorbona ducentes intellectum humanum ad rectum ratiocinium et ad
inveniendam veritatem […]
par Josephus Hodkiewicz »…
On joint une copie manuscrite ancienne, annotée, d’une lettre de Benjamin Franklin à Morellet, Philadelphie avril 1787
(10 p. in-4).
235.
André MORELLET
. L.A., [fin 1775 ?, à Jacques Turgot] ; 9 pages in-4.
1.500/2.000
Très longue lettre sur Lyon, les travaux de Perrache, et sur sa situation personnelle, en 14 points numérotés.
Il a cent choses à raconter depuis son retour, mais il croit que cet exposé abrégera la besogne. Il rapporte des échos
de la commission que Turgot a établie à Lyon, et recommande M. de La Chevalerie « parmi les concurrens à la prevoté des
marchands ». Il propose de communiquer un mémoire confidentiel du lieutenant de police Prost de Royer sur les abus dans
l’approvisionnement de la ville : « vous ne seres jamais tranquille si cette partie de l’administration demeure entre les mains de
la municipalité ». Il recommande de l’attribuer au lieutenant de police « avec la maxime de laisser au commerce libre tout ce
qu’on pourra » ; il recommande aussi d’attribuer à cet homme très compétent, connu de Target, « un traitement convenable »,