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231.
André MORELLET
(1727-1819) abbé, écrivain et encyclopédiste. L.A.S., dimanche [fin 1766, à Jacques Turgot] ;
4 pages in-4.
1.200/1.500
Défense de sa traduction de
Des délits et des peines
de Cesare Beccaria.
Il explique comment il a travaillé à sa traduction et fut amené à changer dans sa traduction l’ordre des
Delitti
… « Je crois
bien que vous ne me soupçonnes pas d’avoir recherché la petite gloriole d’avoir donné plus d’ordre à l’ouvrage de Beccaria
ainsi ce n’est que la conviction intime de la necessité d’un autre ordre qui m’a determiné à commettre cette espece de sacrilege
dont la seule idée de toucher à l’ouvrage d’un autre et de blesser l’amour propre d’un auteur que j’estime infiniment m’auroit
detourné. J’avoüe que je n’entens point du tout comment vous pouves m’accuser d’avoir fait perdre de la chaleur à l’original
je ne sais rien de plus contraire à la chaleur que le desordre et le decousu des idées. […] C’est la mémoire qui presente à un
ecrivain ses idées mais souvent les rapports les plus foibles et les plus eloignés amenent une idée après l’autre et quand on
supposeroit que ces rapports suffisent pour repandre sur une suite d’idées la chaleur qu’on attribüe à l’imagination je dirois
que cet avantage ne subsiste plus pour le lecteur qui ne voit pas les liaisons et les passages insensibles qui ont conduit l’auteur
d’une idée à l’autre et qu’on fait marcher par sauts et par bonds »… Sa comparaison des éditions italiennes le convainc de ce
qu’il dit, et il n’a point touché aux chapitres qui avaient « cette chaleur d’imagination qui se communique », tels que ceux sur la
peine de mort, la prévention des crimes, etc. Il attend avec impatience que Beccaria réponde à la lettre qu’il lui envoya avec
sa traduction. « J’ai recueilli beaucoup d’observations sur le fond et quelques corrections sur ma traduction pour une nouvelle
édition. Si vous pouvies y en joindre quelques unes vous me feries grand plaisir et vous feries une chose bonne et utile. Mr.
de Malesherbes m’a ecrit quelque chose »… Il parle de son prospectus, de la préparation d’une nouvelle édition, et de Mme
Helvetius qui se porte bien…
232.
André MORELLET
. L.A.S., 20 novembre 1766, à Voltaire ; 8 pages in-4.
1.500/2.000
Très belle et longue lettre d’admiration à Voltaire, parlant de la récente querelle entre Rousseau et Hume, de la
Justification
de Rousseau et de la
Lettre
de Voltaire à Hume.
Il a reçu et lu avec grand plaisir un
Commentaire
sur le livre
Des délits et des peines
de Beccaria, et voudrait remercier
« l’excellent homme qui plaide avec tant de force et en même temps avec tant de moderation la cause de l’humanité », et
l’auteur de ces pages « dictées par la raison et le sentiment », comme il voudrait aussi remercier Voltaire des jours heureux
passés auprès de lui. « L’auteur de tant d’ecrits utiles me paroît aussi grand aussi digne de vivre dans la mémoire des hommes
que l’auteur de
Merope
et de la
Henriade
. Helas la pauvre raison a grand besoin qu’une main puissante soutienne et fasse
valoir ses droits elle est partout ou persecutée ou lachement abandonnée »… Seuls Voltaire et un petit nombre de philosophes
s’occupent de cette œuvre ; lui-même emploie le peu de temps qu’il arrache à son travail « pour faire un peu de philosophie
et pour precher à votre exemple la tolerance et la raison. Il n’appartient pas à tout le monde comme à vous de faire entendre
sa voix à l’Europe entière mais je fais dans ma sphere étroite le peu de bien que je puis ». Il a des nouvelles de Voltaire par
d’Alembert et Damilaville… Morellet aborde ensuite la question de Jean-Jacques Rousseau : « Je vous confessse que je fais
cas d’
Émile
et que je croyois à l’honneteté de l’auteur. J’ai passé ma vie à le defendre dans la societé de mes amis avec qui il
s’est brouillé mais j’aime encore plus la verité et la justice que mon jugement et je l’ai abandonné aussi franchement que je le
defendois. Je suis à present comme cet homme qui disoit d’une femme qui avoit empoisoné son mary oh si elle a empoisonné
j’en rabats beaucoup. J’ai tout rabattu et je suis tout à fait de votre avis sur cette querelle littéraire. Si vous connoissies le
caractere moral de l’excellent David Hume comme nous le connoissons nous qui avons beaucoup vecû avec lui vous series s’il
est possible encore plus indigné »… Il n’y a que des imbéciles qui puissent être dupes de la lettre de Rousseau…
Morellet demande quelques livres que « l’inquisition » de Paris interdit : il faut lui adresser « cette contrebande
philosophique» par l’intermédiaire de Loiseau, avocat au parlement de Lyon, ou de l’abbé Audras. Puis il fait force compliments
à Voltaire sur la « manufacture de tragedies » qui s’élève à Ferney pour former de jeunes gens et perpétuer le triomphe de ses
ouvrages : « nous vous devons tout dans tous les genres progrès de la raison et de la philosophie tolerance plaisirs de l’esprit
persone n’a merité mieux que vous tous les sentimens que la bienfaisance exerce dans les cœurs sensibles parceque persone
n’a fait aux hommes autant de bien que vous »… Il a mené plusieurs fois à la Comédie Beccaria, l’auteur de
Des délits et des
peines
et apôtre de la raison ; Voltaire en apprécierait le caractère autant que le traité. « Il ne faut donc pas desesperer de
l’humanité c’est là mon refrain continuel sans cette idée consolante il faudroit se jetter dans la riviere et comme je ne veux
pas me noyer je m’obstine à croire cette perfectibilité de l’espece humaine. Je m’obstine à croire que nous valons mieux que
ceux qui nous ont precedé et que ceux qui nous suivront seront encore meilleurs et plus heureux que nous »… Hier il a passé
la soirée avec Damilaville, chez D’Alembert : « J’y ai lu à haute et intelligible voix votre lettre à Mr. Hume qui nous a fait rire
comme des fous. Vous etes delicieux nous le disons tous les jours mais persone ne le dit de meilleur cœur et ne le sent avec
plus de vivacité que moi. Vos plaisanteries sont excellentes parceque vous aves toujours raison en plaisantant et que vous
repandes le ridicule sur des choses vraiment ridicules. Il n’y a de bonnes plaisanteries que celles là et vous y etes sublime ».
En tête de la lettre, Voltaire a noté de sa main : « repondu ».
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