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307.
Germaine Necker, baronne de STAËL
(1766-1817) femme de lettres. L.A., Metz samedi 28 [
pour
29] octobre
[1803], à Mathieu de Montmorency, à Paris ; 3 pages in-4, adresse (manque par bris de cachet avec perte de
deux fins de lignes, fentes répar.).
2.000/2.500
Belle lettre parlant de son exil et de Benjamin Constant.
Elle a lu ses deux lettres avec beaucoup de larmes : « je suis bien faible et les nuits que je passe avec un sommeil sans
cesse interrompu achevent de m’oter la force. J’étois loin de croire que je souffrirois ce que je souffre. Je me serois conduit
autrement si je l’avois prévu ». Sa fille est malade, mais elle espère pouvoir partir jeudi : « je meurs de peur que le climat du
nord ne convienne pas à ce pauvre enfant. Quel mal le 1
er
C. [Bonaparte] m’a fait ! Je crois encore pour l’honneur du cœur
humain que s’il en avoit eu l’idée toute entière il auroit reculé devant elle. J’ai la conviction que c’est moi qui suis cause que
votre oncle est rappellé il aura voulu vous donner une compensation mais n’est-il pas vrai cher Matthieu que ce n’est pas une
compensation et parce que personne ne vous aime comme moi et parce que votre oncle a le bonheur de ne pas souffrir
par l’imagination »… Hier elle a été émue par sa visite de la cathédrale et de la synagogue de Metz : « ces tombeaux dans la
cathédrale ces cris aigus dans la synagogue tout agissoit sur moi et j’avois une terreur de la vie qui ne peut se peindre il me
sembloit que la mort menaçoit mon père mes enfants mes amis, et ce sont des sensations de ce genre qui doivent préparer le
désordre des facultés morales. Pourquoi vous peindre cher Matthieu un si misérable état mais mon ame va se réfugier dans la
vôtre et j’ai pour vous de ce sentiment que vous inspire les personnes en qui vous vous confiez et que vous croyez meilleurs
que vous. Benj. est excellent pour moi. Certainement sans lui il me seroit arrivé quelque chose de bien extraordinaire. Je vous
prie de l’aimer du bien qu’il me fait ou plutôt du mal dont il me sauve. J’ai trouvé ici Villers de Kant [le philosophe Charles de
Villers] qui est vraiment un homme d’esprit et intéressant par son enthousiasme pour ce qu’il croit bon et vrai, il a avec lui
une grosse allemande Mad. de Rodde dont je n’ai pas encore percé les charmes. Le préfet a été parfait pour moi mais je n’en
cause pas moins une peur terrible dans la ville. On y a tout exagéré l’exagéré est possible et un pauvre président du tribunal
criminel beau frere de Villers ne croit pas pouvoir me voir sans courir le risque d’être destitué. À Paris on connoit mieux le
vrai, mais ici l’on est comme une pestiférée dans la disgrace raison de plus pour n’y pas rester […] je change d’avis quatre fois
par jour, cependant je crois que je vais à Francfort. Adieu cher Matthieu ne vous lassez pas d’aimer votre pauvre amie »…
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