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124.
Pauline VIARDOT
. 14 L.A.S. « Pauline » ou L.A., [décembre 1857-mars 1858], à
SON MARI
Louis V
IARDOT
; 53 pages
in-8 ou in-4, 6 adresses avec marques postales (petit manque à un coin de 2 lettres).
5.000/6.000
M
AGNIFIQUE
CORRESPONDANCE
À
SON MARI
,
VÉRITABLE
JOURNAL
DES
REPRÉSENTATIONS
ET
TOURNÉES
DE
LA
CANTATRICE
À
V
ARSOVIE
ET
EN
A
LLEMAGNE
. Posant la plume pour la reprendre quelques heures plus tard ou le lendemain, ses lettres couvrent souvent plusieurs
jours. Elle y relate ses succès et l’accueil du public. Ses voyages sont également l’occasion d’assister à de nombreux concerts et
spectacles qu’elle commente. Une grande partie des lettres est consacrée à des pensées tendres pour ses enfants, restés avec son
époux. Nous ne pouvons donner qu’un rapide aperçu de cette très riche correspondance.
Breslau vendredi [4 décembre 1857]
. Elle lui écrit depuis l’hôtel « où nous couchons ! Par force ! Parce que le train ne va pas plus
loin », alors qu’elle pensait arriver à Varsovie le lendemain matin. Elle est allée à l’opéra voir le
Macbeth
de T
AUBERT
, « pas fameux,
quoiqu’il y ait quelques bonnes scènes », sur le même libretto que V
ERDI
dont la musique « est
claire
,
entraînante
et
mélodique
à
côté de celle de Taubert », dont elle fait le
DESSIN
vu de dos dirigeant l’orchestre, avec « une vraie crinière de lion sur sa perruque » ;
quant à Mlle Wagner, elle ne peut « même plus crier – elle n’a plus que des sons étouffés qui font mal à entendre – en revanche elle
joue parfaitement– elle m’a fait beaucoup d’effet – Quel public ! C’est de la glace »… Arrivée à V
ARSOVIE
le 6 décembre, son nom
a fait sensation à la frontière auprès des douaniers… Elle est descendue à l’Hôtel de l’Europe, et va dîner chez Mme K
ALERGI
… –
Mercredi [9 décembre].
Elle a été à la première répétition du
Barbier
: « Nous étions au grand incomplet » ; certains rôles sont tenus
par des Polonais « avec des dialogues en polonais en réponse à mes récitatifs italiens. Les chœurs aussi ne chantent qu’en polonais.
Ce sera drôle et ça ira bien, je crois »… Elle a vu
La Juive
, avec le fameux ténor D
OBRSKI
, « un vrai artiste, plein de cœur et de charme
dans la voix »… Elle évoque les répétitions du
Barbier
, ses dîners et sorties avec Mme Kalergi… Elle a vu la
Traviata
, suivie d’un
ballet caucasien… On voudrait lui faire chanter Azucena… –
14 décembre
. Elle a eu un très grand succès la veille en chantant chez
le Prince G
ORTCHAKOFF
… Elle est très angoissée pour sa prochaine représentation : « Tu sais avec quelle frayeur et quelle impatience
à la fois j’attends le moment
fatal
[...]. Je sais bien au fond que tout cela n’est que de la lâcheté »... Elle lit
La Daniella
de George
S
AND
, avec « de jolies pages et de mauvais chapitres ». Elle s’inquiète de la santé d’Ary S
CHEFFER
… –
Vendredi soir [18 décembre]
.
Elle est éreintée par les répétitions du
Barbier
... Elle a reçu la visite de M. P
ANUTINE
, gouverneur général de Varsovie, et du
général A
BRAMOVITCH
. Représentation au Grand Théâtre pour l’hymne national russe chanté pour l’anniversaire de l’héritier :
« lorsque la toile se lève, le théâtre représente des nuages, beaucoup de nuages avec des demoiselles couchées dessus. Les chanteurs
sont disposés en allée des deux côtés, les dames en blanc, les hommes en habit noir. Un grand M surmonté d’une couronne est
suspendu comme un lustre au beau milieu de la scène. Peu à peu l’obscurité se fait jusqu’aux ténèbres – tout à coup les nuages
s’entrouvrent, et la lueur de feux de Bengale de toutes couleurs apparait sur un soleil ayant l’M et la couronne dans le centre »...
Elle a consenti à chanter
Il Trovatore
: « Dimanche et mardi Barbier – l’autre Dimanche
Trovatore
. Le mardi suivant probablement
une grande partie de
l’Elisir
avec le 3
e
acte d’Otello. Pendant ce tems les chœurs pourront préparer la Sonnambula, et j’espère que
nous refairons une nouvelle série de représentations. Puis le bénéfice ». Elle hésite donc à aller à Berlin... On se bat dans les rues
pour s’arracher les billets de ses concerts... Succès colossal du Rondo de
Cenerentola
: « Ah, je crois que le maître aurait eu grand
plaisir à s’entendre applaudir avec tant de cœur. Mais aussi quelle ravissante musique ! Quel chef d’œuvre d’esprit, d’entrain »...
–
[23 décembre 1857]
. Succès colossal dans le rôle d’Azucena [
Le Trouvère
] : « La pauvre diablesse a été couverte de pleurs, applaudie
à outrance, rappelée dix fois au milieu de hurlements frénétiques – aussi il faut être juste et avouer qu’elle n’a jamais aussi bien
brûlé son enfant [...]. Il n’y a pas à dire, rien ne fait faire des progrès comme de sentir que l’on ne travaille pas devant des ingrats,
que l’on a à faire à un public qui n’est pas sur la défensive, qui est capable de prendre feu à votre étincelle. Ce soir je suis tout à
fait contente de moi, et Dieu sait que cela m’arrive rarement ! [...] Ah, mon ami, il n’y a pas à dire, il n’y a rien de plus intéressant,
rien de plus émouvant que de se sentir tout un public dans le creux de la main, riant de votre rire, pleurant de votre sanglot,
frémissant de votre colère ! Crois-moi ce n’est pas un simple plaisir de vanité – ce n’est pas un sentiment de domination, encore
moins la coquetterie, qui fait que l’on se sent si heureux dans ces moments-là – non, c’est la
faculté créatrice
, la force
motrice
qui se
révèle et se manifeste chez l’artiste »... –
29 [décembre]
. On lui a demandé trois représentations supplémentaires, dont elle détaille
le programme, ainsi que celui de son bénéfice... Elle n’a pas grand espoir de faire quelque chose de beau à Berlin mais elle y va pour
M
EYERBEER
... –
1
er
janvier 1858
. Tendres vœux pour la nouvelle année, pour son « Loulou » et la famille : « Après la santé, je ne vois,
ma foi, rien de mieux à te souhaiter que mon prompt retour »... Revirement d’A
BRAMOVITCH
, devenu « intraitable, furieux contre
tout le monde » – on le dit amoureux ; il ne veut plus qu’elle chante dans son théâtre car « cela fait du tort à son opéra ! […] Il est
en guerre avec le Prince G
ORTCHAKOFF
, avec toute la société, et il cherche à faire tout ce qui peut déplaire le plus »... Elle a entendu
Halka,
le nouvel opéra de M
ONIUSZKO
: « C’est le premier opéra
polonais
qui ait jamais été composé, aussi je te laisse à penser si le
public était disposé à l’enthousiasme. C’est l’œuvre d’un bon musicien mais pas d’inspiration, pas d’idées »... –
14 [janvier]
. Bal
au château. Un petit complot lui organise une matinée, pour laquelle on lui garantit 500 roubles : « je n’aurai à m’occuper de
rien
que de chanter »…
B
ERLIN
.
British Hotel
26 janvier.
Elle a rendu visite à M. de H
ÜLSEN
, directeur artistique du Théâtre royal, qui a « mis à
disposition toute la musique du théâtre dont je pourrais avoir besoin pour mes concerts [...]. Il m’a demandé si je ne penserais pas
à donner quelques représentations au théâtre et quels étaient mes rôles. J’ai nommé en premier le
Barbier
et
Norma
[...] Tant qu’il
ne se présente rien à faire à Paris, ne vaut-il pas mieux tirer parti jusqu’au bout de ce petit voyage. Les conséquences peuvent être
importantes, puisqu’il me remet enfin à plat, au nombre des artistes présents et en activité, au lieu d’être placée dans les vénérables
antiquités »... On lui propose de chanter
Le Prophète
; elle demande à Louis de décider pour elle : « Je ferai ce que tu voudras – c’est
à toi de peser l’importance de ce qui m’est offert ici »... Ce sont d’importantes décisions pour sa carrière ; elle essaie donc de ne
pas suivre les premiers élans déraisonnables de son cœur... –
Mercredi soir [3 février]
: « quel beau succès a eu ton, mon, notre cher
Barbier
! […] Je ne me rappelle pas l’avoir chanté aussi bien depuis longtemps. Bien en voix, bien en train. […] On m’a rappelée