Depuis le XV
e
siècle, les bibliophiles ont fait dorer ou estamper sur la reliure de leurs
livres des signes de propriété, armoiries, chiffres, emblèmes, ex-libris et ex-dono, répondant
au désir d’y imprimer une partie d’eux-mêmes.
Le collectionneur aime à trouver un cachet spécial à tous les objets qui éveillent
sa curiosité. Sa marque témoignera même après sa mort de ce qu’il a été. Ainsi, il confère
à une chose toute personnelle la capacité d’être transmise. Plus d’un ouvrage aux mérites
confidentiels fut ainsi tiré de l’oubli par la seule faveur qu’il avait suscitée auprès d’un
amateur célèbre, réputé pour la sûreté de son goût et l’intelligence de ses choix. À la mort du
collectionneur qui l’avait fait inscrire sur les ouvrages qu’il aimait, la marque devient pour
autrui un témoignage d’estime, une preuve d’intérêt.
Ainsi les belles œuvres qui n’ont aucune marque de provenance apparaissent à Frits
Lugt « comme des enfants trouvés », tandis que celles « qui portent les indications de leur
provenance sont comme parées de leurs titres de noblesse ; elles ont un passeport qui leur
assure, tôt ou tard, un accueil digne des milieux par où elles sont déjà passées », écrivait-il
dans l’introduction des
Marques de collections
en
1921
. Souvent, pour l’initié, l’entrelacs
d’un monogramme ou le rébus d’un fer armorié recèle une lettre de recommandation, un
certificat même, attestant la valeur d’une édition ou la qualité d’un exemplaire, choisi avec
discernement, relié avec élégance, conservé avec soin.
Ces marques de collection, tels les jalons d’une histoire, permettent aux amateurs
d’une époque d’être en communion avec leurs prédécesseurs et, en s’appropriant leurs livres,
de comprendre leur démarche générale et leurs choix particuliers. Elles perpétuent en somme
une tradition bibliophilique. Considérant la bibliothèque d’un grand seigneur, homme d’État,
savant ou artiste d’une époque révolue, le bibliophile imagine ses goûts, s’ouvre à ses idées,
partage ses centres d’intérêt. Il traverse le temps et suspend ainsi le travail de l’oubli.
Romanesques, les marques de collection sont synonymes d’émotion. L’amateur
devine sur le volume où elles sont estampillées la main qui l’a tenu ou le regard qui s’est posé
sur lui.
Il n’est pas de collection, en outre, sans esprit de jeu. La bibliophilie est une culture
du livre, mais c’est une culture ludique, ouverte aux rencontres, aux correspondances, aux
échos, aux hasards. La rareté elle-même est fragile et ses adeptes savent à quel point, parfois,
elle tient à peu de chose. Certaines associations, par exemple, rendent savoureux des livres qui
sans elles seraient fades.
Qu’il s’agisse d’armoiries dorées ou peintes, d’ex-libris gravé, parfois de notes de
lecture ou de signatures manuscrites, ces marques rendent unique ce qui est rare en lui
octroyant un caractère distinctif.




