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En souvenir de Monsieur Jacques MILLOUX
La vente que nous proposons aujourd’hui n’est pas celle d’une suite de plus d’un millier d’autographes. Il s’agit de l’œuvre d’une
vie : soixante ans de recherches passionnées chez les libraires. Chaque document porte au crayon de la main de Jacques Milloux
son paraphe, la date d’acquisition et sa provenance. Quelle nostalgie à l’évocation de la Maison Charavay-Castaing avec les lam-
bris de son Cabinet de la Place de Fürstenberg ou du rubicond Monsieur Labarre qui recevait dans sa librairie-boudoir de la rue
Dauphine, parmi les grands lieux disparus du Monde de l’Autographe !
Jacques Milloux aimait qu’on vienne lui apporter la pièce qu’il avait choisie dans le catalogue. Jamais il ne fut « un client », mais
« l’érudit » que l’on visitait et qui savait comme personne communiquer son enthousiasme et son savoir. Alors, il regardait le
document avec le plaisir de l’enfant auquel on présente une friandise. L’autographe allait vivre sa nouvelle vie de « chaînon man-
quant » et rejoindre le dossier pour lequel il avait été appelé.
Jacques Milloux fut LE COLLECTIONNEUR D’AUTOGRAPHES.
Une collection, c’est un « fil rouge », pour lui, c’était l’Histoire de France, de la Révolution à Charles de Gaulle.
Une collection, c’est l’obsession d’une globalité, de l’exhaustivité : réunir TOUS les maréchaux nommés par l’Empereur, TOUS
ses Aides de camp, TOUS les Présidents de la République, TOUS les Présidents du Conseil…. C’est posséder un document de
chaque période de l’Epopée : Buonaparte, Bonaparte en Italie, en Egypte, Premier Consul, Napoléon au Camp de Boulogne,
à Berlin, à Varsovie, en Espagne, durant les Campagnes d’Autriche, de Russie, d’Allemagne, de France, à l’Ile d’Elbe, durant les
Cent Jours et à Sainte-Hélène… Aller jusqu’au bout du thème, c’est aussi par exemple réunir dans l’époque révolutionnaire le
massacreur Carrier à l’humaniste Abbé Grégoire et le Roi constitutionnel Louis XVI à Robespierre ou Rouget de Lisle. C’est faire
figurer les ennemis : Blücher, Frédéric Guillaume III, Wellington et le terrible geôlier Lowe. Décliner l‘époque du Consulat et de
l’Empire, c’est aussi associer les grands artistes des beaux-arts, de la musique et du théâtre, les grands scientifiques et médecins,
les gens de lettres et d’architecture, de la finance (Gérard, Isabey, Vigée Le Brun, Lesueur, Méhul, Talma, Dubois, Dupuytren,
Parmentier, Brongniart, Laffitte etc.). Quel travail que cette exceptionnelle réunion sur la famille Bonaparte ! : Le père, la mère, les
frères et sœurs, mais encore les descendants et même les fils naturels ! Seul manque – et pourtant sa chemise était prête dans le
dossier : le Roi de Rome… mais la quête de l’autographe est sans fin… Notons cette affection toute particulière pour les Cercles
de Mesdames Récamier et de Staël. Suivons la chronologie de l’Histoire de France, en nous attardant sur le Second Empire, la
Troisième République, pour arriver aux grands militaires et aviateurs des guerres mondiales et finir sur ce bel ensemble consacré
à Charles de Gaulle : ces lettres du jeune commandant à son mentor le Colonel Mayer, cette rare lettre de Londres en 1943 au
Frère Xavier de Beaulaincourt, cette correspondance à Joseph Kessel ou cette touchante lettre de « Tante Yvonne », demandant à
une voisine de Colombey si elle consent à leur vendre un bout de terrain situé derrière le potager du Général.
Une collection, c’est un ordre précis, un classement cohérent. Jacques Milloux fut exemplaire en la matière et il m’a paru essen-
tiel de respecter les différents chapitres de ses dossiers. C’est donc sur son ossature chronologique qu’a été rédigé le catalogue.
Une collection, c’est la qualité. Monsieur Milloux su dénicher des textes historiques, rendant l’histoire vivante : par exemple
Buonaparte, au lendemain de son mariage avec Joséphine, annonçant pour le lendemain son départ pour l’Armée d’Italie. Ainsi
suivons-nous aussi en direct le Siège de Saragosse relaté par Lefebvre-Desnouettes, la bataille de Leipzig par Fournier-Sarloveze
ou encore l’impressionnante agonie de Duroc pleurée par Napoléon que nous donne Turenne. Citons cette lettre de Mac-Do-
nald à sa fille, en plein cœur de la bataille de Conegliano, écrite en deux fois, dans le feu de l’action. N’oublions pas cette pièce
exceptionnelle qui appartint à un autre grand collectionneur, le Professeur Chevassu, qui en parlait avec émotion : « Je n’ai pas de
signature de Napoléon déchu, mais j’ai mieux, un petit fragment du Mémorial, écrit de la main du jeune Las Cases, corrigé une
première fois par son père et portant de nouvelles corrections de l’Empereur ».
La collection, c’est la recherche de « la perle rare ». La rareté en autographe n’a rien à voir, à mon sens personnel, avec la « valeur
vénale ». Une signature du fidèle Valet Constant ou du dévoué Mameluck Roussant, n’est-elle pas plus rare qu’une signature de
Napoléon (dont on estime les lettres à plus de 75000) ? La Collection Milloux regorge de ces pépites : des généraux foudroyés
en pleine jeunesse (que les amateurs sauront reconnaître), aux compagnons de St Hélène, tels que le furent les valets Marchand
et Noverraz ou le petit tambour corse Santini qui ne quitta jamais l’Empereur dès l’âge de 14 ans, veillant jusqu’à sa mort son
Tombeau des Invalides.
Une collection, c’est l’esthétique. Dans ce thème, c’est la préservation de ces belles vignettes emblématiques. Retenons celle, par
Appiani, gravée en pleine demi-page, sur la nomination de Duroc par Berthier.
Une collection, c’est la complémentarité dans un thème et Jacques Milloux aimait illustrer l’autographe d’un personnage, d’un
portrait, l’associer à celui de son épouse ou d’un fils.
Une collection, c’est surtout le plaisir de la recherche et nombre de documents portent au dos une note au crayon de Monsieur
Milloux qui renseigne du pourquoi, du quand, du où. Certains dossiers sont annexés d’articles ou de résultats de démarches avec
des descendants ou d’autres érudits. De la recherche naît la vérité. Le cas du général polonais Piontkowski l’a passionné et il lui
a consacré un dossier, cherchant à savoir s’il avait été ou non un espion à la solde de l’ennemi. Ou bien celui de l’aumônier corse
Buonavista, « le mal-aimé » des Mémorialistes, auquel il donna une place d’honneur en présentant une lettre à Madame Mère,
annonçant de Londres qu’il va apporter à l’Empereur à Ste Hélène un portrait du Roi de Rome.
Une collection, c’est l’affectif. Jacques Milloux aimait se rendre sur les lieux de vie de ses personnages. Comment ne pas être ému
de retrouver dans le dossier de Marmont, une carte postale ramenée de son château, avec une fleur séchée au dos venant du
parc « où j’ai cueilli cette fleur de trèfle ». A l’affectif appartient aussi cette relique du cercueil de l’Empereur, qui nous est présen-
tée authentifiée par l’enseigne de vaisseau de la « Belle-Poule ».
Comme tous les grands collectionneurs, Jacques Milloux tenait un registre de sa collection, en en dressant les listes par dossier.
Je suis heureux d’offrir aujourd’hui à sa mémoire l’inventaire définitif des recherches de sa vie, et bien sûr à son épouse, qui su si
bien l’accompagner et partager sa grande quête de l’Histoire. Souhaitons que chaque autographe de ce catalogue puisse - para-
phrasant Bonaparte s’adressant à ses soldats qui pourraient dire avec fierté : « J’étais de l’armée conquérante d’Italie » - rester
estampillé : « J’étais de la Collection Milloux ».
Merci à Maître Le Fur de m’avoir donné la joie intellectuelle et affective de rédiger ce catalogue.
Yannick Lefebvre