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Cédant aux instances d’une compagnie néerlandaise de navigation, fin 1933, Schmied s’embarqua
en compagnie du fils aîné de Jean Dunand, Bernard, pour une croisière aux Antilles, en Guyane
hollandaise et au Vénézuéla. Il devait réaliser les illustrations d’une campagne publicitaire vantant
les beautés de ces rives éloignées, et le confort du service de la compagnie.
De ce voyage Bernard Dunand ramena une série d’impressions qui, traduites en laque de Chine, furent
exposées à la galerie Charpentier. Schmied pour sa part, réalisait toute une série de peintures à la
détrempe, d’un grand format, qui furent exposées au Pavillon de Marsan en 1934, à l’occasion de
l’exposition organisée par la Compagnie des Bibliophiles de l’Automobile Club de France, pour la
présentation de son édition de
l’odyssée.
C’est également à cette exposition rétrospective que l’on pouvait voir pour la première fois une série
de plaques en émail champlevé, qui allait être utilisée par la suite dans la décoration du paquebot
Normandie
. Ces émaux, réalisés sur fonte, par le Maître de forge Laurent Monnier à Baudin dans le
Jura, eurent beaucoup de succès. Cette rénovation d’une technique ancienne disparue et qui même
dans ses réalisations médiévales, n’avait jamais atteint un tel degré de per fection relève de la
prouesse technique.
L’arbre de Science du Paradis terrestre
se composait de 28 plaques rapportées
dans un même cadre dans le goût des shittes que peignaient les hindous du XVII
e
siècle. L’originalité de
la composition, la précision du dessin, l’harmonie et la franchise des tons en firent le clou de l’exposition.
Par ailleurs, il était fatal que la passion de la décoration et la mise en valeur des textes rares conduisit
F .L. Schmied à s’éprendre de la reliure. N’est-elle pas le vêtement du livre ? Ayant engagé le meilleur
ouvrier de France, des mains expertes exécutaient sous sa direction des reliures de sa conception
depuis le corps d’ouvrage jusqu’à la dorure.
De 1934 à 1935, Schmied ef fectue quatre séjours au Maroc. Il y réalise à nouveau une série de
peintures à la détrempe, sur grand format. Le support est soit l’isorel, soit du contre-plaqué. Il y transpose
tout le raffinement qu’il avait mis à illustrer des livres que désormais il ne peut plus construire. On
reste étonné devant cette technique si par faite. Les couleurs sont extraordinairement évocatrices.
Ses sujets sont toujours pris sur le vif. Tel personnage sur une plage, en train de trier le grain
(Le vanneur)
tel autre endormi sur sa couche
(le Chaiz)
sont d’une beauté étrange et mystérieuse, qui fascine et
séduit le spectateur. Les couleurs vibrent de telle sorte que l’on éprouve la sensation trouble d’un
mirage fixé pour notre seul plaisir. Ce qu’il a tiré de ses campagnes figure en partie dans Sud-Marocain.
Se trouvant à Marrakech au printemps 1934, le sort voulut qu’il y rencontra un soldat, qui ayant fait
la campagne de pacification du sud, lui en parla avec tant d’admiration et de ferveur qu’il le décida
à suivre le Général Catroux dans sa seconde campagne. Il gagna le grand sud saharien et se trouva
face à face avec un monde d’une originalité qu’avant lui, aucun artiste n’avait interprété. Marrakech,
capitale des Sultans Saadiens, devint pour lui le symbole et la clef du sud-marocain.
De 1935 à 1939, il revient à Paris plusieurs fois pour surveiller l’exécution de deux livres :
Faust et
le tapis de prière
qui paraîtra après sa mort. Ayant tant imaginé et peint de palais des mille et une
nuits, il méritait un jour d’en habiter un. Il dut ce délicat plaisir à la bonté comme à la munificence
du Résident Général qui le logea à Rabat. Ses peintures sont l’expression la plus poussée de son
génie créateur. Associant variété et abondance, Shmied sans se répéter se transforme d’une peinture
à l’autre. Son commentaire est plein de liber té. Sans s’attacher à l’anecdote, il transcrit ce pays
avec une vision pénétrante pleine de sincérité et de grandeur.
Il mourut en janvier 1941, à Tahanaout, où il est enterré dans un marabout qu’il avait fait édifier à
côté de sa demeure.
Épris de somptuosité et de faste oriental, il vécut comme un grand seigneur et lorsque victime de
circonstances imprévisibles, il dut renoncer à construire des livres, il se retira en solitaire et retourna
au désert.
Felix Marcilhac