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noire, ce qui donne également de très belles
nuances. Sur ces grandes sur faces blanches,
finement craquelées, on peut ensuite appliquer
des laques de couleur que l'on ponce plus ou
moins selon les dégradés recherchés et les effets
de transparence nécessaires. Autre procédé spec-
taculaire, la
laque arrachée
, qui est moins fragile.
Utilisée principalement pour les piètements de
meubles ou de paravents, mais aussi pour
de larges sur faces sur des meubles de moindre
qualité, elle s'obtient en appliquant sur de la laque
fraîche à la terre une spatule de bois qu'on appuie
et qu'on soulève brusquement, provoquant ainsi
par adhérence une granulation en vaguelettes qui
est ensuite légèrement poncée pour uniformiser
le niveau et le grain de la surface. De plus, la laque
se prête bien à toutes sortes d'incrustations.
Celles-ci peuvent être affleurantes, comme dans le
cas de la coquille d'œuf ou de la limaille de métaux,
mais elles peuvent aussi être faites avec des
matières plus épaisses, comme de la poudre de
coquilles de nacre blanche ou avec des
coquilles aux reflets moirés, dites
burgau
. De
même, l'ivoire, sculpté ou en plaque fine, peut
être incrusté. Des champlevés ou intailles sont
alors nécessaires pour le recevoir afin de
l'enclaver plus solidement et de le coller à la laque.
Indépendamment des coquilles fournies par les
œufs du poulailler de la rue Hailé, installé dans la
cour, c'est le pâtissier de la place d'Alésia qui
était requis pour fournir cette « matière première ».
La coquille d'œuf de poule, d'une épaisseur plus
régulière, était préférée à toute autre et c'était
Madame Nam, une Annamite, qui était la meilleure
« poseuse» de tout l'atelier. Cette technique fut
tellement per fectionnée par Jean Dunand que
nombre d'Annamites, ayant travaillé chez lui, ren-
trèrent à Hanoï et s'installèrent à leur compte
pour produire des articles similaires. De même, à
Paris, Serge Rovinski, ar tiste peintre, utilisa
les ateliers de Dunand pour faire exécuter ses
paravents et son mobilier, mais d'autres artistes
ou maisons de décoration furent moins scrupuleux
et débauchèrent carrément quelques-uns des
ouvriers du Maître pour faire réaliser leurs projets.
Par ailleurs, une autre technique spectaculaire
consiste à graver la sur face obtenue après les
laquages successifs. Généralement appelée
laque
de Coromandel
(du nom de la côte de l'Inde où
ces œuvres étaient embarquées à destination de
l'Europe), elle provient de la province chinoise
du Ho-Nan et connut un étrange succès dans
l'Europe du XVIIIe siècle.
Les laques de Foutchéou ou de Pékin sont de tech-
niques similaires. La gravure s'en effectue, non pas
en poussant avec un ciseau comme sur le bois,
mais en retirant la matière jusqu'à la sous-couche
blanche en terre, à l'aide d'outils en forme de cro-
chet. Cela permet d'éviter tous éclats ou écail-
lures qui ne manqueraient pas de se produire si
l'on procédait autrement.
La laque peut également être sculptée si l'épaisseur
est suffisante. Cette technique, qui fut longtemps
une spécialité chinoise, nécessite des couches de
laque de couleur très épaisses, devant avoir
chacune de 10 à 15 mm d'épaisseur. On les taille
ensuite avec des sortes de ciseaux à bois pour
faire apparaître les dif férentes couches de
couleur. Très délicate et longue, cette technique
ne fut jamais utilisée par Dunand. En revanche, il
lui arriva de sculpter les motifs en bois et de les
laquer de couleurs dif férentes pour obtenir
certains effets de relief.
La laque d'or est obtenue en appliquant le métal
en poudre broyée très fine ou en feuilles sur de la
laque fraîche, et par des procédés qui varient suivant
qu'on la veut mate ou brillante.
C'est un ouvrier du nom de Zuber qui était chargé
chez Dunand de toutes les opérations de dorure.
Très habile, il n'utilisait jamais de dorure à l'eau
ni de mixtion, que Dunand interdisait d'ailleurs,
mais uniquement de la poudre d'or ou des feuilles
d'or appliquées sur la laque fraîche.
Pour finir cette énumération des techniques, on
dispose encore de toute la palette des laques de
couleur, opaques ou transparentes, qui peuvent
être employées en aplats, à contours francs ou
dégradés ou en effets nuagés.
Une des plus belles qualités de la laque, et ce qui
la dif férencie de tous les produits d'imitation,
c'est la profondeur de sa matière; le regard, ne
s'arrêtant pas sur l'aspect poli de la sur face,
pénètre au sein de l'épaisseur des couches super-
posées où joue, par transparence, la lumière sans
jamais être réfléchie véritablement.
Jean Dunand surveillant la pose de la coquille d’œuf sur un paravent
Biches dans la forêt
, peu de temps avant sa mort.