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Les reliures
À la première exposition du groupe Dunand-
Goulden-Jouve-Schmied à la galerie Georges
Petit, en 1921, figurait Le Livre de la jungle de
Rudyard Kipling. Les illustrations de cet ouvrage
avaient été commencées avant la guerre, en
1913. Si la plupar t des planches avaient été
dessinées par Jouve, les bandeaux et culs-de-
lampe étaient l’œuvre de F.-L. Schmied. C’est
également lui qui avait été chargé de graver
toutes ces planches, Jouve n’ayant jamais su
graver lui-même. Quoi qu’il en soit, c’est un peu
sous l’égide de cet ouvrage magnifique que se
forma le groupe Dunand-Goulden-Jouve-Schmied,
ce dernier y venant avec Dunand auquel le liait
une amitié fraternelle, et Jouve amenant avec
lui Goulden qu’il avait connu à Salonique dans
l’armée d’Orient.
Le succès de ce premier ouvrage conduisit
d’autres amateurs à confier à Schmied l’exécution
d’autres ouvrages de bibliophiles. Certains d’entre
eux lui demandèrent aussi, comme le docteur
Amédée Baumgar tner, de concevoir également
un projet de reliure. Au lieu de confectionner
celles-ci en cuir, Schmied eut l’idée de demander
à Dunand de les laquer. Le décor prévu reprenait
assez souvent l’une des illustrations du livre, en
l’isolant et en l’agrandissant pour accentuer
exagérément le côté décoratif de la composition.
Jean Dunand, ne s’attaquant jamais à une
nouvelle technique avant d’en connaître toutes
les règles, rencontra alors Georges Cretté, l’un
des relieurs d’art les plus compétents, qui avait
succédé à Marius Michel, maître incontesté de la
Belle Epoque, pour les réaliser en collaboration.
Après en avoir discuté ensemble longuement,
Dunand choisit d’utiliser le métal comme support
pour ses laques, puisqu’il ne pouvait pas travailler
de petits panneaux de bois pour les incorporer à
ses reliures, ceux-ci n’étant pas assez épais et se
déformant en séchant en atmosphère humide. De
ce fait, aucune plaque de bois laqué ne fut jamais
conçue par Dunand pour être incorporée à une
reliure et toutes celles présentées comme telles
ne sont que l’œuvre d’habiles contrefacteurs.
Au début, Dunand fut donc conduit à prendre
comme support de fines plaques de laiton (cuivre
jaune). Les premiers modèles furent même
conçus en utilisant toute la sur face du plat
de couverture du livre. Les bordures de la plaque
n’étaient pas coupées mais recourbées sur trois
côtés afin de pouvoir enchâsser le plat de la
reliure. Ces petites bordures étaient alors
délicatement retournées tout en laissant une
petite cannelure pour que l’on puisse emboîter la
plaque sur le car ton épais de la reliure
en l’enchâssant sur trois côtés. Le suppor t en
carton devait bien évidemment être « dégraissé »,
c’est-à-dire désépaissi sur les trois côtés
extérieurs, de sorte qu’il puisse se glisser sans
risque de déformation. Le décor, quant à lui, était
entièrement laqué et cuit au four, ce qui rendait
la plaque extrêmement résistante. Cretté finit par
préférer utiliser de simples plaques de laiton dont
le revers était « grif fé » et que l’on collait sur
le plat de la reliure plutôt que les plaques aux
bords retournés qui, trop lourdes, fragilisaient son
montage.
Par la suite, Dunand, jugeant cette méthode trop
contraignante, eut l’idée d’utiliser des plaques
d’ébonite, matière plastique moderne qui, si elle
ne pouvait pas se cuire au four, n’en supportait
pas moins le séchage en atmosphère humide. De
plus, ces plaques se trouvant facilement dans le
commerce pouvaient être utilisées directement,
sans retouche et dans une épaisseur très fine qui
rendait plus aisé leur montage. Extrêmement
légères et faciles à fixer, elles pouvaient s’encastrer
dans le cuir sans alourdir inutilement le plat de la
reliure, ni fatiguer son articulation. Cette nouvelle
matière permit donc à Dunand de laisser libre
cours à sa fantaisie en noyant dans la laque aussi
bien de la poussière de nacre que de la coquille
d’œuf ou des limailles de métaux précieux.
Plus simplement et de façon plus traditionnelle,
il est arrivé à Dunand de prévoir de simples
plaques de dinanderie pour orner les plats
intérieurs de reliures.
Principalement destinées aux reliures jansénistes,
c’est-à-dire sans décor extérieur, ces plaques
étaient fixées sur les plats intérieurs à l’aide de
colle de poisson s’accrochant plus facilement sur
les petites barbes de métal que l’on avait
soulevées avec un petit ciseau au revers de la
plaque. Le métal utilisé pouvait être indifféremment
du laiton, du maillechort, mais aussi de l’argent
ou des plaques d’or épais. Dunand exécuta même
des plaques en argent creusé et rempli de laque
à la manière des émaux champlevés, en utilisant