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Léon BLOY
(1846-1917)
157.
Léon BLOY
.
Manuscrit
autographe de son
Journal d’enfance et de jeunesse
, 1861-1866 ; 2 cahiers in‑fol.
de 191 pages et 82 pages, couvertures cartonnées à dos toilé (le dos manque au 1
er
).
10.000/12.000
Précieux manuscrit inédit du premier journal tenu par Léon Bloy de quatorze à vingt ans.
Ce
témoignage exceptionnel de la jeunesse de Bloy n’est connu que très partiellement, par des extraits publiés en 1925-
1926 dans les
Cahiers Léon Bloy
, puis dans quelques études ; il a fait l’objet d’une thèse complémentaire non publiée
de Marie-Joseph Lory,
L’Enfance et l’adolescence de Léon Bloy d’après son journal inédit
(Sorbonne, 1953) ; mais la
majeure partie de ce Journal est restée
inédite
.
Commencé le 1
er
janvier 1861, à l’âge de 14 ans, sans doute sur la recommandation de son père, ce journal fut tenu
par Léon Bloy, avec de nombreuses interruptions, jusqu’aux premières années de son arrivée à Paris ; il fut interrompu
définitivement le 16 novembre 1866. « Intéressant au point de vue psychologique, ce journal témoigne de la précarité
des connaissances de Léon Bloy et rend d’autant plus sensibles les extraordinaires études qu’il fit lui-même, sans
maître, en moins de trois ans » (J. Bollery).
Le journal s’ouvre par cette observation qui révèle un doute quant à la date de sa naissance : « J’aurai quatorze ans
et 6 mois le 9 ou le 11 de ce mois-ci »… Il est tenu fidèlement du 1
er
janvier au 13 avril 1861 et à nouveau du 1
er
janvier
1862 jusqu’au 31 mars. Ce cahier terminé, Bloy en commence aussitôt un autre le 1
er
avril 1862, qu’il poursuit sans
interruption jusqu’au 17 juin 1862. Il le reprend le 1
er
mars 1864, avec un très net changement d’écriture, mais pour
cette seule journée qui est la dernière écrite à Périgueux. À la page suivante, qui porte en tête « Paris 1864 », Léon Bloy
écrit de nouveau le titre :
Journal
, et la date du 20 juin 1864 ; le mois est achevé sans lacune, mais juillet n’a des notes
que pour les 1
er
, 2, 18, 19 et 20. Puis il ne reprend que le 22 octobre 1866 et n’est tenu que pendant 12 jours, à intervalles
variables, jusqu’au 16 novembre 1866.
Le premier cahier (1
er
janvier 1861-31 mars 1862) renferme plusieurs lettres ou pièces, la plupart collées aux
feuillets : un
portrait de son père dessiné par Léon
le 10 février 1861 ; une l.a.s. de Léon à son frère Paul, une de
Paul à Léon, et une de F. Frenet à Léon ; une minute de lettre de Léon à un oncle maternel, et le canevas d’un premier
acte de drame. Le jeune garçon décrit minutieusement sa vie quotidienne, au sein de sa famille, dans la vaste maison de
Fenestreau : heure de son réveil ; sorties avec « papa » ; jeux et querelles avec ses frères ; « farces » et flâneries solitaires ;
leçons de piano (« cette musique m’ennuit extrêmement ») ; son étude assidue du dessin industriel et architectural et
du dessin d’ornement (précisions sur les sujets, achats de matériaux, nombreuses références au professeur de dessin
du lycée M. Dose, quelques esquisses par-dessus le texte) ; ses lectures (des feuilletons, le
Journal de la Dordogne
, les
romans de Fenimore Cooper,
Le Robinson suisse
,
Plik et Plok
,
Atar Gull
,
Le Commandeur de Malte
et
Le Marquis de
Létorière
, « roman de Eugène Sue dont la lecture m’a été interdite que je suis parvenu à chiper dans la bibliothèque de
Papa »)…On trouve aussi quelques allusions aux pratiques religieuses – la « confesse » à laquelle sa mère renonce à le
mener, vu le mauvais temps, des vêpres pascales auxquelles il lui faut assister, « ce qui m’a presque mis en colère », etc.
La fantaisie y est très exceptionnelle.
8 avril 1861
. Ce matin « j’ai été fort triste pendant une heure à peu près, car j’avais
eu un cauchemar terrible. Je me figurais dans mon rêve avoir étouffé mon pauvre frère Jules et je croyais sentir ses
pauvres petites mains suppliantes qui s’accrochaient convulsivement à moi dans les derniers tourments de son agonie
puis par un prompt retour de pitié je le sortais tout à coup, du tas de cendres sous lequel je l’avais enfoui et par mille
moyens je cherchais à le ranimer mais je voyais peu à peu ses lèvres blêmir et ses yeux se ternir je me sentais fou »…
Un an plus tard, cependant, sa vocation littéraire se déclare.
1
er
janvier 1862
. « J’ai actuellement 15 ans et demie.
Aujourd’hui le besoin d’apprendre à m’exprimer clairement me pousse à reprendre ce journal »…
6 février 1862 
:
« depuis quelques jours et particulièrement aujourd’hui je suis tourmenté de ce désir de gloire et de poésie qui devient
pour moi quelques fois un supplice une torture atroce »…
18 février 1862
. Après une altercation avec son frère
Georges, son père les menace publiquement de la cravache : « Je ne pouvais pas parler, tant le chagrin me suffoquait
[…] et avec cela la perspective des coups de cravache punition bien honteuse pour moi, moi qui aspirait tant à la
poésie »…
26 février 1862 
: « emporté par mon ardeur poétique j’ai employé une demie heure ce matin au lieu d’étudier
le piano à faire le canevas du 1
er
acte d’une pièce que j’intitulerais
Le Bravo de Venise
, mais ce soir j’ai pris la résolution
définitive de laisser celui-là de côté car il ne me satisfait pas et d’en faire un autre ayant pour sujet le viol de Lucrèce
ou Tarquin le Superbe »… En regard, le canevas : « Jacopo bravo de Venise a été chargé de mettre à mort un vieux
patricien nommé … accusé injustement de conspirer contre la République », etc.
6 mars 1862.
Il aurait bien aimé voir
jouer Laferrière, « mais Papa pousse le respect des usages du vieux temps jusqu’au fanatisme je suis trop enfant pour
aller seul voilà ! Quand ferai-je donc quelque trajédie qui me vaille le nom d’homme »…
7 mars 1862 
: « j’ai passé
mon temps à faire un canevas de Lucrèce tragédie que je veux faire et je crois bien que je réussirai enfin quelle joie
cette tragédie sera de 3 actes »…
14 mars 1862 
: « Je me suis mis à ma chère trajédie et j’ai trouvé le moyen de faire
une dizaine de vers de plus »…
24 mars 1862 
: « j’ai demandé à Papa s’il ne se faisait plus de trajédies aujourd’hui, il
m’a dit qu’un M
r
Ponsard
avait fait une très belle
Lucrèce
. Il serait difficille de rendre l’étonnement que j’éprouvai
alors. C’était presque une fatalité et j’eus peur un moment que la fatalité ne s’arrêtant pas là, M
r
Ponsard eût encore
eu les mêmes idées que moi et que je ne reproduisisse moi que ses propres vers. C’était pour [moi] un fameux coup
…/…