Page 80 - cat-vent_maigret15-05-2013-cat

Version HTML de base

78
mais […] je pensais qu’ayant fait d’abord ma trajédie toute entière je n’aurais qu’à acheter l’autre que je ne connaissais
pas afin d’éprouver la valeur de la mienne par la comparaison. Si par hazard celle-ci était la plus belle j’arriverais du
premier coup au faîte des honneurs »…
29 mars 1862
 : « l’ardeur qui m’animait à faire une trajédie est subitement
troublé je voudrais faire autre chose voilà mes projets j’ai serré ma trajédie dans un coin de mon bureau pour le
reprendre après si le goût m’en reprenait mais je vais faire une élégie touchante ayant pour titre une mère »…
10 avril
1862
. Il s’interroge : « dois-je ou non continuer cette pièce de poésie sur une nuit de fièvre ou dois-je reprendre de
préférence la trajédie. La pièce de poésie m’ennuie et la trajédie est bien longue pour ma paresse […] mais je crois que
l’ennui passe avant la paresse »…
15 juin 1862 
: « je fis part à Papa de mon projet de trajédie peindre son étonnement
serait peu possible je ne l’essaierai pas moi, après le souper pendant lequel je n’ai pu rien prendre tant mon émotion
était grande je lui ai lu quelques-uns de mes vers que je jugeai les meilleurs. J’étais haletant d’anxiété, il m’a répondu
froidement que ce n’étaient que des vers que j’avais fait et que je ferais bien d’en suspendre la lecture. Je n’aurais jamais
cru pouvoir souffrir tant […] mais mon état tenait du délire. Je me mis au piano, les doigts me manquait mon cœur
gonflé ne pouvait pas trouver de larmes et pourtant elles m’auraient fait beaucoup de bien »…
1
er
mars 1864
. « La paresse est mon démon : engagements qu’elle me fait toujours éluder, bonnes résolutions dont,
à cause d’elle, je ne cesse de différer l’accomplissement ; ces choses sont chaque fois des motifs sérieux de chagrin et de
rage ; pouvoir me vaincre, ce serait tout gagner »…Employé dans les bureaux d’un architecte à Paris, Léon Bloy trouve
ses talents de dessinateur supérieurs à ceux de ses collègues (il trace quelques dessins à la plume sur la contregarde
du cahier) ; il se crée un programme d’études, flâne beaucoup, et tremble que son employeur ne s’aperçoive de sa
paresse et de son improductivité… Anecdotes illustrant son amour pour Victor Hugo, et échos de discussions avec
ses collègues et amis : théories sur l’architecture moderne, la résurrection de la Pologne, « notre époque »…
1
er
juillet
1864
. Tristesse après un débat sur l’amour platonique, « le seul véritable, selon moi […]. Je devais porter la peine de
mon enthousiasme, n’ayant pas assez d’éloquence pour la leur inspirer. Je fus raillé par eux de mes dix-huit ans, et
Sarton me dit tranquillement et en homme parfaitement convaincu, que les femmes étaient des êtres ignobles et qu’il
ne fallait pas les prendre au sérieux. Je ne sais pourquoi en ce moment un mouvement de désespoir s’est opéré au-
dedans de moi »…
27 octobre 1866
, il relate une soirée passée chez son ami Victor
Lalotte
en compagnie de Georges
Landry
 : « Nous nous sommes occupés de poésie comme toujours. J’avais apporté selon ma promesse
les Châtiments
& j’en ai lu tout haut les plus remarquables endroits. En conscience, je crois que ce genre de divertissement est pour
des jeunes gens, le plus innocent qui se puisse imaginer & même le plus sain »… Etc.
Expositions
L
éon
B
loy
(Jean Loize 1952, n° 171 ; Bibliothèque Nationale 1968, n° 10).
158.
Léon BLOY
.
Cahier
autographe de brouillons ou copies de
lettres à sa famille
, 1864-1865 ; cahier
cousu grand in‑8 de 59 pages.
4.000/5.000
Cahier de plus de 50 lettres à ses parents et ses frères, commencé à vingt ans
, alors que Bloy, monté à
Paris, occupe pour son premier emploi, songeant à devenir peintre. Ce manuscrit présente de nombreuses ratures et
corrections ; le texte de certains passages, voire de lettres entières, a été barré.
Le 19 juin 1864, Léon se félicite de l’excellent accueil que lui a fait l’architecte
Renaud
 ; il assure ses parents qu’il
« travaille avec ardeur » et que Paris, loin de l’étourdir, ne le « séduit » nullement (passage biffé). Trois jours plus tard,
il parle des débuts de sa vie d’homme : « péniblement je me fraie un chemin dans le monde. De bonnes et mauvaises
sollicitations me presseront tour à tour, pour mon bonheur et pour ma perte. Je rencontrerai des pièges et des obstacles,
je le sais ; mais je n’ai pas peur »… Pour son frère Paul, le 12 juillet, le ton adopté est plus léger : Léon habite un « sale
quartier », et n’a vu jusqu’à présent à Paris que « des guenons pour lesquelles je ne ferais pas de folies »… Mais
aussitôt après, il confie à son professeur de dessin du lycée de Périgueux, M.
Dose
, les « mauvaises dispositions » dans
lesquelles il s’était trouvé à Paris, malgré les motifs raisonnables de son départ… En septembre, après un bref retour
à Périgueux, il livre ses impressions de Versailles et son musée ; le 9 octobre, il fait part de sa décision de partager un
appartement avec un collègue, et de suivre des cours de géométrie et de construction à la « petite école » ; peu après, il
répond aux objections paternelles concernant la colocation : Castil « n’est pas un étudiant ! Or tu connais parfaitement
le sens de ce mot. L’étudiant du quartier Latin est sans contredit le type de jeune homme le plus achevé qui existe. C’est
l’incarnation de l’insouciance même, dans l’oubli fatal presque toujours du monde extérieur qui lui, va grandissant »,
etc. Vers la fin de l’année, il esquisse une longue lettre (avec portrait en marge), conjurant son père d’essayer de
comprendre : « J’ai pris la résolution de me livrer à l’art de la peinture. Quoi qu’il m’en coûte de formuler cet aveu je
dois m’y résoudre et ne pas faire un mensonge qui deviendrait un acte de mauvais fils. J’ajouterai ceci, dusses-tu rire
de pitié : je crois avoir la vocation et devant moi un large avenir. Je sens en moi-même un grand feu lequel ne vient
pas du cœur, mais qui résulte de deux forces combinées : l’intelligence et la volonté. L’éternelle histoire des difficultés
insurmontables et du talent méconnu inventée par quelque sot pour effrayer les enfants, me fait pitié »… Et de
confirmer son projet, le 12 janvier 1865, à son parrain : « la peinture est le but que je me proposerai d’atteindre par
tous les moyens »… Moins exalté, le 7 avril suivant, en écrivant à son frère Paul, il lui souhaite d’avoir « une chaude-
pisse sicilienne » plutôt que la vérole : « soigne-toi bien et ne baise qu’à coup sûr, je ne fouts les pieds au bordelle que
lorsqu’il m’est impossible de me contenir, cela parce qu’en fait de trous à boucher il est à Paris fort difficile d’avoir
quelque chose de propre, et que ce quelque chose il faut le payer fort cher »… Quant à s’offrir « une maîtresse une
petite femme, bonne ou couturière », il préfère son « indépendance de jeune homme »… Le 18 mai, il déclare ne rien
…/…