Page 108 - cat-vent_rossini28-04-2014-cat

Version HTML de base

106
secours, loin de m’en priver. C’est apparemment un effet de la confiance qu’on a que le gouvernement veut réellement le bien.
Il me paroit que vos éphémérides et les gazettes du commerce annoncent toujours à l’avance, et par la discussion, le point de
réforme qu’a résolu le gouvernement ; cela ne prouve pas qu’on rejette les
recettes imprimées
»… Son ouvrage sur les Salines
serait déjà terminé s’il n’avait subi quelques contretemps. Il évoque une affaire qui l’a beaucoup accaparé, « un assassinat
commis par un employé des fermes prétendument dans ses fonctions. Ces délits sont fréquents et font frémir »…
338.
Honoré-Gabriel de Riquetti, comte de MIRABEAU
. L.A.S. « Mirabeau fils », 21 janvier 1776, à un « cher
ami »
; 5 pages in-4, avec ratures, corrections et additions.
3.000/4.000
Belle lettre après s’être échappé du fort de Joux, au début de sa liaison avec Sophie Monnier.
Il a été très heureux de recevoir sa lettre « dans la triste situation où je me trouve »… Il compte répondre avec franchise
quant aux obstacles à son retour : « quand j’ai tiré l’épée, j’ai jetté le fourreau. Cet homme qui a cherché à vous tromper pour
que je tombasse dans le même piège, est de tous les êtres le plus perfide. Il avoit de son propre aveu écrit à mon père la lettre la
plus terrible, lui demandoit ma transfération, et l’assuroit qu’il n’en pensoit pas moins que lui sur mon compte »… Il ne peut
faire confiance à un tel homme… Par ailleurs il tient à s’assurer enfin « un sort à l’abri des nuages […] comme je l’ai mandé à
mon père, si
l’on veut absolument me perdre, il faut bien que je veuille me sauver
»… Il se trouve en prison depuis 18 mois :
« Ma jeunesse se passe. Mon corps s’énerve, ma tête s’use, mon cœur se flétrit. Oh ! S’ils me proscrivent, je leur montrerai qu’il
bout quelque chose en moi qui me fait me suffire »… Quant au troisième obstacle, non le moindre, il s’agit d’une « passion
intérieure que je ne puis ni ne veux vaincre. Je ne retournerai jamais au château ; mon amie est à Pontarlier. Je l’adore : je suis
aimé ; je ne serai pas prisonnier à une lieue d’elle. Mais, mon cher, cet amour, qui vous paroit surement un grand inconvénient,
est la seule chose qui puisse me sauver, et me rendre à ma patrie et à ma famille. Car je vous jure que fatigué et irrité comme je
le suis de persécutions et d’injustices, j’irois courir une fortune, que ma tête et mon épée me promettent de rencontrer, si ce lien
irrésistible ne me retenoit, et je ne reverrois jamais un païs où je n’ai trouvé que des ronces. Le sacrifice ne seroit pas grand. Je
ne puis de même renoncer au sentiment qui soutient ma vie et adoucit l’amertume de mes malheurs. Je désire me rapprocher
de ce que j’aime, de ne point élever de trop fortes barrières entre nous, et d’assurer, s’il est possible, la tranquillité d’une passion
dont l’intérêt et la durée sont devenus les premiers et les principaux objets de toutes nos démarches et de tous nos désirs »…
Cette résolution devrait faciliter les négociations avec sa famille, mais il méprise M. de Saint-Mauris, évoqué plus haut, qui est
intervenu auprès de son père à ses dépens, « qui, sous le voile d’une perfide générosité, me dresse de nouvelles embuches »…
Il considère que son ami est la seule personne à même de jouer le rôle de négociateur… Il le prie d’écrire à son père une lettre
dont il lui indique le plan : « L’envie de rendre à un homme respectable qui a acquis des droits sur tous ses concitoyens par ses
bienfaits littéraires, un fils susceptible de devenir digne de lui, vous met la plume à la main. […] Je vous ai montré la plus tendre,
la plus vive sensibilité au léger espoir que toute réconciliation ne m’étoit peut-être pas fermée avec mon père. Vous ne savez
pas où je suis ; mais vous êtes certain par mon serment que je suis en France », etc. Il lui demande ce qu’il pense de ce projet de
lettre dont il attend « le plus grand effet »… Il aimerait lui révéler où il se trouve pour lui prouver sa confiance, mais ce secret
implique également son amante Sophie, à laquelle il laissera le soin de le dévoiler ou non… Il aimerait que ses créanciers soient
payés et lui demande pour cela de lui procurer quelque argent et de vendre « mes journaux helvétiques »… à sa demande, il
continuera son ouvrage sur les Salines…
339.
Honoré-Gabriel de Riquetti, comte de MIRABEAU
. L.A.S. « Mirabeau fils », [début 1776], à un ami ; 2 pages
et quart in-4 (fente réparée, manque le bas du 2
e
feuillet sans perte de texte).
2.000/2.500
Stratégie pour fléchir la sévérité de son père.
Il prie son ami d’écrire à son père sans plus tarder, « car enfin il peut prendre un parti vis-à-vis du ministre, et avec toute
sa feinte indifférence me faire arrêter. Le tems n’y fait rien ; il doit bien penser que je ne suis pas éloigné de la frontière ; et
Pontarlier n’est qu’à une lieue ; ainsi vous êtes censé avoir tout le tems nécessaire pour m’avoir vu »… Mirabeau écrit ensuite
le contenu de la lettre au marquis de Mirabeau que son ami devra copier et signer : « J’espère que vous ne regarderez pas
comme une importunité les nouvelles supplications que j’ai l’honneur de vous adresser » ; sa démarche est dictée par l’amitié :
« Certainement il n’est pour monsieur votre fils qu’un danger, c’est d’avoir aliéné votre cœur sans retour. Le secret dont il est
chargé n’est absolument rien. Je me garderais bien, Monsieur le marquis, d’oser vous donner mes opinions en fait de procès
[…] mais les formes judicaires sont mon métier ». Les créanciers ne sont pas le plus inquiétant car « vous êtes son curateur et
quelques embrouillées que puissent être ses affaires, votre prudence et votre habileté en viendront à bout. Les ordres du roi
ne seront jamais accordés contre M. le comte de Mirabeau qu’à votre sollicitation. […] Un prisonnier est sous une garde. Sa
détention n’est pas volontaire et s’il recouvre la liberté en s’échappant, il ne désobéit point, il use des moyens que lui suggère
son adresse, ce n’étoit pas à lui à se garder ». Il n’y a que le courroux du marquis qui puisse être un véritable malheur pour
son fils. Quant au rapport que ce dernier aurait envoyé au comte de Saint Germain, c’est « évidemment le fruit d’un premier
mouvement et d’une vive inquiétude ». Cette lettre n’est en aucun cas un reproche : « M. le Comte propose de se laver des
imputations dont on pourroit le noircir. Il auroit beaucoup mieux fait sans doute de ne les point prévoir […] mais enfin, ce tort,
qui est celui d’un jeune homme, auquel on avoit exagéré votre mécontentement et les projets de votre sévérité n’a pas mérité
sa perte, et ne la lui attirera pas ». Que le marquis ne reste pas insensible à un fils qui ne cherche qu’à lui plaire et à soulager le
chagrin qui oppresse sûrement son cœur : « Vous apercevrez que ne pas sauver votre fils en ce moment, c’est le perdre, que ne
point le relever c’est le précipiter »… Mirabeau termine en priant son ami d’envoyer cette lettre le jour même…