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HUYSMANS
Joris-Karl.
Lettre autographe signée, adressée à l’abbé Ferret. Marly, le 9 octobre 1894 ; 2 pages 1/2 in-8°.
« Je vous envoie deux mots du fond de ma solitude. Elle est complète, car j’ai
à peine entrevu M. Rivière qui est reparti pour organiser des pèlerinages, et
je n’ouvre plus la bouche. C’est la cure de silence, dans toute sa plénitude.
Au point de vue spirituel, je suis dans un état d’engourdissement qui n’est
pas sans charmes. Je suis surmené par d’incessants exercices à la chapelle.
[…]
Je me lève vers 3 heures 1/2 pour être à la chapelle à 4. Imaginez qu’on
n’éclaire rien ici. Les offices se font en pleine nuit. On a l’air d’aveugles dans
la chapelle, et ça dure des heures ! C’est doux et sinistre. Cela me donne l’idée
de réciter le De Profundis sur mon propre corps. C’est égal, la mélancolie de
ces bois, de ces voûtes humides, de ces brouillards du matin sont indicibles.
J’ai communié ce matin en l’honneur de mon bon St Denys l’aréopagite dont
c’était la fête, une vraie communion de catacombe, en pleine nuit, éclairée
seulement par les cierges parcimonieux de l’autel.
[…]
Corporellement, je
ne suis pas trop mal, malgré un estomac plus que médiocre et qui ne digère
guère les légumes à l’huile chaude. J’ai des bâillements incessants et affreux
mais enfin, c’est supportable ; le pis c’est le froid. C’est absolument comme à
St Wandrille, dans une vallée couverte de brouillards le matin et agrémentée
d’étangs qui entretiennent une constante humidité.
[…]
J’ai retrouvé mes
braves trappistes mais combien enlaidis ! Le nouveau règlement leur enlève
la barbe. Ils sont tous affreux, maintenant. Ils n’en sont pas moins de bien
saintes et de bien serviables gens, mais l’accueil Bénédictin fait sembler à
celui des Cisterciens, muet et froid. »
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AUTOGRAPHES et MANUSCRITS
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HUYSMANS
Joris-Karl.
Lettre autographe signée. Paris, le 15 février 1897 ; 4 pages in-16.
« Je suis content que les dithyrambiques à la
Mère vous aient plu. Je ne sais pas encore l’effet produit
dans le monde religieux. Dans l’autre, il a suscité des
fureurs. On appelle cela de la démence catholique et le
Journal des Débats a, dans un article gouailleur, déclaré
que depuis Bossuet on n’avait pas soutenu avec plus
d’aplomb, la théorie providentielle. Le correspondant a
été très convenable — mieux même, très courtois.
[…]
Reste à savoir si leur public ne va pas se cabrer ; j’aurai
des renseignements là-dessus par l’abbé Mugnier.
[…]
Tous les amis, hier, se sont réjouis de votre dépêche,
car après votre lettre accusant des douleurs d’entrailles,
votre télégramme nous a remontés ! Mais que tout cela
est long ! La bonne Mme Leclaire a bien raison de vous
dire qu’il faut prendre patience, mais je sais aussi que
c’est plus facile à dire qu’à faire!
Enfin dites-vous que cet exil sera de durée courte,
qu’avec un peu de beau temps, la gorge s’éclaircira et que nous irons ensemble à Chartres.
[…]
Ce livre, je ne sais vraiment
plus quand j’en sortirai ! C’est un travail fou et un tour de force à chaque chapitre. Je suis en train de faire de la symbolique
de l’ancien Testament, à propos du porche Nord. Quel aria ! et pendant ce temps les demandes s’accumulent chez Stock qui
se désespère. Cet homme ne peut, en effet, comprendre l’immensité du travail entrepris, la concision de toute cette énorme
symbolique des siècles dans un livre. Enfin, j’arriverai bientôt à celle du Bestiaire. C’est plus amusant à faire que les Prophètes et
moins long. »
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