qui était empoisonné, et dont les pages étaient devenues marron. Un beau jour, dans ma
bibliothèque, j’ai retrouvé une édition du XVI
e
siècle de la
Poétique
éditée par Riccoboni.
Elle contenait aussi des traités sur la comédie, et les dernières pages étaient complètement
abîmées, presque marron.
J’avais donc découvert, dans ma propre bibliothèque, le livre que j’avais décrit dans mon
roman mais sans me souvenir de cet exemplaire. Il était marqué 1 000, je l’avais donc acheté
1 000 lires, très longtemps auparavant. Alors, peut-être, le souvenir de ces pages horribles et
de ce livre que j’avais rangé là-haut, parce qu’il n’était pas intéressant, ce souvenir est entré
dans mes “entrailles”, et sans le savoir j’ai raconté ce que j’avais vu dans ma jeunesse.
“J’ai plus de souvenirs que si j’avais mille ans”
On m’a souvent posé une question dans les lycées, dans les écoles – c’est toujours intéressant
de voir comment réagissent les jeunes lorsque que je fais une conférence sur les livres.
Ils m’ont demandé : donnez-moi en deux mots la raison pour laquelle il faut lire.
J’ai répondu : prenez un analphabète, un homme sans culture : au moment de sa mort,
il se souviendra de petits épisodes de sa vie, sa mère etc., soixante ou soixante-dix ans tout
au plus. Moi, non : j’aurai dans ma mémoire cinq mille ans, j’aurai participé à la bataille de
Waterloo, assisté au meurtre de Jules César, aux duels des trois Mousquetaires…
Ma vie sera pleine de souvenirs et j’aurai vécu cinq mille ans au lieu de quatre-vingt-dix.
C’est un argument qui marche !
Propos extraits d’une conversation filmée entre Pierre Bergé et Umberto Eco – Paris, 24 avril 2015.