Page 131 - cat-vent_ader17-12-2013-cat

Version HTML de base

129
j’attends la rentrée maintenant car en ce moment les gens ne sont plus à la campagne et pas encore rentrés à Paris »… Il joint une
curieuse lettre d’avances d’une Américaine, et termine : « J’ai des grands cils pleins de larmes. Je suis un petit chameau et je t’aime »…
Ce jeudi [25 septembre].
« Ma petite fille. Le mauvais temps est revenu […] couvre toi, ne te promène pas toute nue. […]
Le Figaro
m’a demandé de faire “
un vernissage chez V.D
.” […] ils veulent venir faire une photo avec modèle et des personnalités »… On lui a aussi
demandé des tableaux pour figurer sur la scène du théâtre de la Porte-Saint-Martin dans une pièce de K
istemaeckers
 : « Tu vois tout
doucement la saison commence »… Un
dessin
de chien signe la lettre, avec les mots : « une lèche de Toby ».
[27 septembre].
Lettre commencée sur un feuillet arraché d’une brochure publicitaire. Il a été à la générale d’une pièce de
Duvernois à la Renaissance : « Tout le monde semble être à Paris déjà », et beaucoup de gens demandent des nouvelles de Jasmy ; elle
lui manque… « Je travaille beaucoup mais le travail c’est pas le rêve »… Il n’a pas encore eu le courage d’aller seul au Louvard… Il fera
chauffer la maison pour son retour : « Aller à l’hôtel pour éviter un rhume non mais tu te crois déjà milliardaire, tu le seras un jour
mais en attendant tu es la rombière d’un pauvre peintre. [...] En attendant ce jour où tu m’entretiendras je vis misérablement et seul
mais je travaille pour dix et cela tout de même aura un jour un résultat »…
Ce mercredi [1
er
octobre]
(lettre rédigée sur le faire-part de mariage de Robert Piguet avec Mlle Mathilde Henriquez) : « tu ne me
gâtes pas et tu as bien du ribouldingue. Heureusement que le travail est ma consolation car sans cela c’est bien embêtant d’être seul
si longtemps [...]. Je travaille beaucoup mais les résultats se laissent attendre je pense que tout de même on aura un petit résultat cet
hiver. […] Ton Kiki abruti par le travail et le tabac ».
Vendredi [3 octobre].
Il a décalé le vernissage du
Figaro
pour aller la rejoindre en Dordogne : « tu vois comme je t’écoute si après
cela ça rate ça sera de ta faute. […] Je travaille comme un vrai petit ange mais j’en ai plein le dos. Je voudrais bien être une poule de
luxe mais il faudrait que je me fasse raser et couper les cheveux »… Il arrange des dessins pour son exposition, peint, va au théâtre,
au cinéma, se balade… Il a reçu des appels de maisons de coutures pour Jasmy… « Ton portrait est revenu de Pittsburg. Il est dans
l’entrée et surveille la porte »…
Ce dimanche [5 octobre].
Il a perdu des journées entières à faire des démarches chez le contrôleur des contributions : « ce salaud
a gardé mes feuilles pour les étudier (qu’il disait) et me les a renvoyées avec un petit mot où il disait ses regrets de ne rien pouvoir
y changer. [...] Merde pour la France. Tu es bien gentil de vouloir me prêter mon chandail et mes chaussettes. Je me mouche dans
de vieux journaux. Puis voyager la nuit, emporter des toiles pour peindre des châteaux et baiser ma femme ça va être de vraies
vacances »… Il a vu un film avec « Jackie C
oogan
en enfant de cirque. C’est tout-à-fait ma vie en ce moment. Je suis un petit vagabond
à tout faire. J’ai de beaux yeux et je suis tendre. Anatole F
rance
est en train de clamecer, les théâtres rouvrent, les gens rentrent, les
autos écrasent les piétons et je prépare mes toiles pour le Salon d’Automne »… Il est heureux de la revoir : « Tu es peut-être devenue
une petite femme d’intérieur. On ne sait jamais. Il y a des miracles. […] J’ai besoin d’une victime à engueuler et je compte sur toi »…
[7 octobre].
Il colle une coupure de presse annonçant qu’il aurait vendu ses tableaux au théâtre de la Porte-Saint-Martin à prix
d’ami : « c’est un mensonge. Je n’ai rien vendu du tout et mon seul espoir est que la Porte St Martin brûle car les tableaux sont bien
assurés »… Il ira le soir même à la générale de la pièce de Kistemæckers « voir comment mes tableaux font là-dedans »… Jasmy le
reconnaîtra-t-elle ? « J’ai une belle barbe grisonnante, de beaux yeux bleus candides et menteurs, light complexion, teint frais ancien »,
la pipe au bec. Il signe : « Ton vieux Kiki – mais encore jeune ». (Une carte postale de Balliman à Jasmy jointe).